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ici-bas, que d’ailleurs l’esprit humain a toujours été en proie aux contradictions, qu’elles ne sont pas ce qu’il y a de pire dans ce monde.

La Société de l’arbitrage international était plus autorisée que beaucoup d’autres à célébrer le centenaire de la révolution française; mais. si elle s’était piquée d’exactitude dans les dates, elle aurait remis son congrès à l’an prochain. Ce fut en effet dans la mémorable séance du 14 mai 1790 que l’assemblée nationale décréta en quelque sorte l’abolition de la guerre. Aux préparatifs belliqueux de l’Angleterre, le roi Louis XVI avait répondu par l’armement de quatorze vaisseaux de ligne. L’assemblée profita de l’occasion pour déclarer que la paix est le premier des biens, qu’un peuple libre n’attaque personne. Les Robespierre, les Pétion affirmaient, la main sur le cœur, que la France avait abjuré à jamais tout projet ambitieux, qu’elle regardait « ses limites comme posées par les destinées éternelles. » — « Vous allez, s’écriait Volney, délibérer pour l’univers; vous allez, j’ose le dire, convoquer l’assemblée des nations. — Que tous les peuples soient libres comme nous, disait le curé Rollet, et on ne se battra plus. »

D’autres orateurs ajoutaient que l’art de traiter n’étant que l’art d’intriguer, on n’avait plus besoin de diplomates, que les représentans de la France devaient se réserver le droit de conduire eux-mêmes les négociations et protéger le repos du monde contre les souverains et leurs agens. Mirabeau leur répondit qu’ils s’abusaient : «C’est toujours sous le charme de la passion, disait-il, que les assemblées politiques ont déclaré la guerre. Nous avons entendu un de vos orateurs vous proposer, si l’Angleterre faisait à l’Espagne une guerre injuste, de franchir sur-le-champ les mers, de renverser une nation sur l’autre, de jouer dans Londres même, avec ces fiers Anglais, au dernier homme et au dernier écu. Et nous avons tous applaudi, et un mouvement oratoire a suffi pour tromper un instant votre sagesse. Croyez-vous que de pareils mouvemens ne vous porteront jamais à des guerres désastreuses? Vous ne serez pas trompés par des ministres ; ne le serez-vous jamais par vous-mêmes ? »

Mirabeau avait vu clair ; il venait de révéler à la révolution son secret, mais la révolution ne l’en crut pas, et cet homme de génie ne put avoir raison de ce qu’il appelait lui-même le fanatisme de l’espérance. « Ce fut, a dit M. Sorel, une nuit du 4 août de la guerre et de la conquête... Le décret qui fut voté était le vœu platonique d’un congrès de métaphysiciens. Ignorant que la guerre couvait dans leurs âmes, que l’impulsion héréditaire du sang français qui coulait dans leurs veines les conduirait irrésistiblement à propager la révolution après l’avoir accomplie, que, pour régénérer l’Europe, il