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décide que tout ce qui est sain, juste et fort est d’origine allemande, que tout ce qui s’est fait de remarquable dans le cours des siècles a été fait par des Allemands, que les Allemands ont tout trouvé, tout inventé, et que, sous peine de se déshonorer, ils ne doivent rien emprunté à leurs voisins. Ces historiens ne seront contens que le jour où ils seront parvenus à effacer de la langue de Goethe jusqu’au dernier vocable français et où la cuisine française sera remplacée à Berlin par une cuisine vraiment nationale. « Leur ambition secrète, me disait un diplomate, est de trouver une méthode spécifiquement allemande de faire l’amour et les enfans. »

Mais ce qui contribue plus que tout le reste à dégoûter le monde de la politique des nationalités, ce sont les inconséquences volontaires et calculées de ceux qui la pratiquent ; le monde a toujours préféré le péché à l’hypocrisie. L’empereur Napoléon III, qui n’a jamais séparé le principe des nationalités du principe de la souveraineté populaire, voulait qu’avant de décider de leur sort on consultât les populations. On lui objectait que les peuples ne savent pas toujours ce qu’ils veulent, que leur humeur est aussi changeante que leurs désirs sont confus, que, comme les individus, ils sont sujets à se de juger, qu’ils s’engagent aujourd’hui, que demain ils voudront se dégager, qu’il n’y a rien de fixe dans leurs résolutions, qu’on ne bâtit pas sur un terrain mouvant. Napoléon III ne laissa pas de proposer sa panacée à la conférence de Londres. Le seul moyen d’accorder et de terminer la querelle des puissances allemandes et du Danemark était, selon lui, de faire voter les intéressés, d’appliquer la méthode du plébiscite dans les districts du Slesvig à population mixte. « Eh ! quoi, s’écriait M. de Brunnow, c’est aux paysans du Slesvig qu’on s’adresse pour tracer les frontières d’une contrée qui est en ce moment l’objet des délibérations de la conférence de Londres ! » Le baron de Beust se montra plus coulant. Le 1er juin 1864, il écrivait à lord Russell que, «puisqu’on désirait que les populations fussent consultées, il ne pensait pas qu’il existât dans ce cas particulier de raisons majeures de s’y refuser. »

Cependant on n’en fit rien, et l’Angleterre ayant en fin de compte proposé de confier la délimitation à un arbitrage, cette proposition ayant été rejetée, le résultat le plus net de la politique suivie par le gouvernement français dans la question des duchés de l’Elbe fut le démembrement d’un petit état dont l’Europe avait garanti l’intégrité. Abandonné de ses garans, livré à ses seules forces, le Danemark, après une belle défense, devait fatalement succomber et se mettre à la merci de ses vainqueurs. Le 1er août, le roi Christian IX cédait à l’empereur d’Autriche et au roi de Prusse tous ses droits sur les duchés de Slesvig, de Holstein et de Lauenbourg.