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subtils raffinemens d’arbitraire contre ce qu’on appelle les « menées césariennes et plébiscitaires. « L’un propose tout bonnement d’assimiler à un simple prince banni et inéligible tout Français suspect d’aspirer au « pouvoir personnel. » L’autre a imaginé toute une légalité nouvelle étendant ses mailles serrées sur le suffrage universel, proscrivant les élections multiples, réglementant les déclarations de candidature, interdisant les affiches, les distributions de bulletins, menaçant les imprimeurs, annulant d’avance les votes prétendus illégaux. Et ce qu’il y a de curieux, c’est que ces républicains, qui ne sont pas plus inventifs que libéraux, vont tout simplement puiser leurs combinaisons dans les décrets de la dictature de décembre, — et ils l’avouent sans plus de façon ! Qu’on se préoccupe des manifestations plébiscitaires d’une opinion troublée, qu’on prenne même certaines précautions prudemment définies, rien certes de plus légitime ; mais ne voit-on pas que toutes ces mesures accumulées contre un seul homme ne font que le grandir, qu’on ne réussit qu’à achever de ruiner par le ridicule les institutions qu’on croit protéger, et qu’après tout on laisse aux plébiscitaires eux-mêmes, aux conservateurs, à tous les adversaires de la république le beau nom de défenseurs des libertés électorales, du suffrage universel ? On veut faire marcher le pays, c’est le vieux mot. Et si le pays ne marche pas, s’il vote malgré tout, peut-être même avec d’autant plus d’entraînement qu’on aura essayé de le violenter, que fera-t-on ? On n’aura réussi qu’à tout aggraver par des expédions puérils et impuissans. C’était vrai sous le ministère Floquet, c’est encore vrai sous le ministère Tirard. Aujourd’hui comme hier, il n’y a qu’une manière de rallier et de reconquérir le pays : c’est de lui donner ce qu’il demande, la réparation de ses griefs, l’intégrité dans son administration, l’ordre dans ses finances, la sécurité dans ses croyances, la paix dans sa vie intérieure comme dans ses relations avec le monde.

Depuis longtemps l’Europe, en dépit de toutes les apparences, manque de fixité. Elle flotte dans une certaine incohérence, et les parlemens, qui sont réunis aujourd’hui un peu partout, à Berlin comme à Paris, à Rome comme à Londres, à Vienne comme à Pesth, reflétent assez cet état à la fois indécis et agité. Les phénomènes de vie publique ne sont pas les mêmes partout sans doute ; ils varient avec les pays où ils se produisent, ils se ressentent de la diversité des intérêts et des conditions nationales : ils procèdent, au fond, des mêmes causes, de l’incertitude de tous les rapports, de la défiance universelle, de l’instabilité des choses. Les états les plus puissans eux-mêmes ne sont pas sans avoir leurs crises et leurs malaises, peut-être extérieurement moins saisissables et pourtant assez réels.

Qu’en est-il pour le moment de l’Allemagne ? Il est certain que les affaires allemandes se ressentent encore des dernières transitions de règne, que le passage éphémère de l’empereur Frédéric III, — ce