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Telle est la loi russe. Peut-on dire qu’elle respecte la liberté de conscience ? L’homme qui ne peut changer de religion possède-t-il la liberté religieuse ? Qu’est-ce que cette liberté qui n’est pas celle du choix ? et se sent-il libre, le prêtre ou le croyant qui n’a pas le droit de répandre ses croyances ? Pétersbourg pose en principe que la liberté du prosélytisme n’est pas nécessaire au libre exercice du culte. Cela a été réduit en formule. Un homme qui a le courage de ses idées, M. Pobedonostsef, aujourd’hui procureur-général du saint-synode, a donné à l’Europe la théorie officielle de la liberté russe.

« L’Alliance évangélique » avait fait remettre à l’empereur Alexandre III une pétition où les protestans d’Occident sollicitaient pour toutes les confessions chrétiennes une égale et entière liberté. Alexandre III a transmis cette requête à son ancien précepteur, M. Pobedonostsef, et le haut procureur du très-saint-synode y a répondu, en février 1888, par une lettre publique au président du comité suisse de « l’Alliance, » M. Naville[1]. Écoutons cet interprète autorisé de la loi russe et de la pensée souveraine.

« Nulle part en Europe, ne craint pas d’affirmer le haut-procureur du saint-synode, les confessions hétérodoxes ne jouissent d’une liberté aussi parfaite qu’au sein du peuple russe. L’Europe persiste à ne pas le reconnaître. Pourquoi ? demande M. Pobedonostsef à M. Naville. Uniquement parce que, chez vous, la liberté des cultes, telle qu’elle est inscrite dans la loi, est unie au droit absolu d’une propagande illimitée. Voilà la cause première de vos récriminations contre nos lois restrictives à l’égard de ceux qui détournent les fidèles de l’orthodoxie et de ceux qui abjurent notre foi. »

Ces lois, selon le haut-procureur, n’ont d’autre but que de sauvegarder l’église nationale contre les attaques de ses adversaires. Laissant de côté la « question abstraite du droit de prosélytisme, » le confident de l’empereur Alexandre III soutient que « la Russie ayant puisé son principe vital dans la foi orthodoxe, écarter de l’église orthodoxe tout ce qui pourrait menacer sa sécurité est le devoir sacré que l’histoire a légué à la Russie, devoir qui est devenu la condition essentielle de son existence nationale… » — « En Russie, concluait M. Pobedonostsef, les confessions de l’Occident, loin de s’être affranchies de leurs prétentions dominatrices, sont toujours prêtes à s’attaquer non-seulement à la puissance, mais à l’unité de notre patrie. La Russie ne peut admettre la

  1. Cette lettre a été insérée dans une feuille ecclésiastique, les Tserkovnye Vedomosti (février 1888), et dans le Journal de Saint-Pétersbourg (17-29 février’, ce qui lui donne un caractère doublement officiel.