Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un riche collier de perles au cou. Dans ses salons se presse une étrange cohue ; l’aristocratie du Sud y coudoie la démocratie du Nord. On y rencontre « John Randolph, en costume de cheval, botté et éperonné ; les membres du congrès en lourdes chaussures graissées, les ambassadeurs en culotte courte et bas de soie. » À ces réunions disparates, les élégantes préfèrent les réceptions de l’ambassadeur de France, Hyde de Neuville, de M. Bagot, ministre d’Angleterre, dont la femme, nièce du duc de Wellington, donne le ton, de Mrs Jonathan Russell où fréquentent assidûment les deux belles du jour, Mrs Hull et miss Randolph, petite-fille de Jefferson, dont on admire la grâce et on redoute l’esprit.

Société encore à l’état chaotique, mais dont on commence à discerner les élémens constitutifs. Un type nouveau s’en dégage, qui n’est ni anglais ni français, qui tient encore un peu de l’un et de l’autre, mais qui tend à s’affranchir socialement après s’être affranchi politiquement. L’Amérique aux Américains, avait proclamé Monroë, et sa doctrine ralliait les suffrages. Le colon de dent Américain. Plus de trente années se sont écoulées depuis la conquête de l’indépendance ; ces colons, fils de colons, tout imprégnés des traditions et des idées de la mère patrie, qui ont lutté, vaincu et fondé la république : hommes du Nord, puritains et libéraux ; hommes du Sud, loyalistes et royalistes, mais indépendans, ont fait place à une génération nouvelle.

Elle a grandi, elle a été élevée autrement et dans d’autres idées que les leurs. Par conviction autant que par nécessité, on a inauguré pour elle un système particulier d’éducation en commun : filles et garçons suivant les mêmes cours, participant aux mêmes jeux, assujettis à la même discipline. C’est dans ces écoles communes que cette génération s’est formée, écoles primitives et rudimentaires dont quelques récits du temps nous ont conservé la physionomie originale, mode d’éducation qui n’a pas justifié les appréhensions assez naturelles que pouvait causer ce rapprochement constant des deux sexes et dont les résultats valent d’être notés. C’est à ce point initial qu’il faut remonter pour expliquer la femme américaine d’alors et celle d’aujourd’hui, ses libres allures, son indépendance et son instinctive expérience. C’est à ces récits, complétés par des observations personnelles, que nous aurons recours pour montrer les résultats d’une éducation aussi diamétralement opposée à nos idées qu’à nos traditions.


IV.

La première fois qu’il me fut donné d’étudier en détail une école publique américaine, ce fut à l’occasion des examens annuels,