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régime, et, à dire le vrai, nous n’attendîmes pas longtemps. Avant la fin de la classe, plus d’un d’entre nous frottait son des endolori. Les filles n’avaient encore rien attrapé, sauf une pourtant, et, comme c’était la première fois que je me trouvais à pareille fête, je ne laissai pas que d’être impressionné. La délinquante, — j’avoue que ni elle, ni moi, ni aucun de nous ne comprenions de quel délit elle s’était rendue coupable, — la délinquante était Susanne Potter ; elle avait douze ans, grande et belle fille pour son âge. En l’invitant, poliment d’ailleurs, à s’avancer pour tâter de sa férule, M. Lorriby demanda, comme une chose toute naturelle et qui ne surprit aucun de mes condisciples, si, parmi les garçons, il s’en trouvait quelqu’un disposé à prendre à son compte le châtiment de Susanne. Après un moment de silence et, à mon grand étonnement, Seaborn Byne, mon voisin, se leva et s’offrit comme substitut. Il le fit avec la désinvolture d’un garçon qui s’acquitte d’un devoir de courtoisie et s’inquiète peu des conséquences. Là-dessus, Susanne Potter, sans un signe ou un mot de remercîment, de regagner sa place et de s’installer confortablement, de manière à ne rien perdre de ce qui allait se passer.

« Ce n’était évidemment pas là ce qu’attendait Seaborn. Cette curiosité indifférente à son sort lui fit regretter son offre chevaleresque, mais qu’y faire ? Pour comble de malchance, Seaborn était gris, très gras. Il remplissait, à les faire craquer, sa culotte et sa jaquette, et je ne laissai pas d’être convaincu que mon camarade, plus maigre, en eût été quitte à meilleur compte ; mais il était si dodu, il offrait une surface si alléchante, que j’excusais presque M. Lorriby de jouer de sa férule avec un pareil entrain. Seaborn hurlait, se démenait, se frottait le dos, les côtes et le reste. Quand ce fut fini, il se rendit piteusement à son banc, regardant Susanne à la dérobée. Elle souriait. Le frère de Seaborn, Joël, seul avait pitié de lui et sanglotait tout bas.

« — Veux-tu bien ne pas pleurnicher, toi ! lui dit Seaborn d’un ton menaçant.

« Puis il murmura entre ses dents :

« — Si jamais plus je me fais fouailler pour elle, je consens à être dingue, puis déterré et dingué de nouveau.

« Qu’entendait-il par être dingué, je ne l’ai jamais su et il ne me l’a jamais expliqué, mais je restai sous l’impression que ce devait être quelque chose de désagréable et qu’il convenait d’éviter à tout prix. Quoi qu’il en soit, Seaborn tint parole ; je l’ai revu bien des années après, et on ne m’ôtera pas de l’esprit que cet épisode de sa jeunesse l’ait à tout jamais guéri d’idées chevaleresques. »

Poursuivant son récit, l’auteur nous montre Betsy Ann, jolie fille de seize ans, dont les charmes naissans font battre le cœur de Bill