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l’esprit exclusivement théologique ou politique qui l’anime depuis l’Essai sur l’indifférence jusqu’aux Paroles d’un croyant, si l’on songe qu’il avait atteint sa cinquantième année lorsqu’il entra dans ces nouvelles études, on doit avoir du respect pour le grand effort qu’il a dû faire afin de s’assimiler des connaissances entièrement nouvelles, et cela dans presque tous les ordres de sciences, et pour embrasser dans une vaste synthèse tous les élémens de l’univers. C’est en définitive la seule tentative de ce genre que nous présente la philosophie de notre siècle, et, malgré des lacunes et des conceptions surannées et évidemment erronées, elle nous offre encore nombre de pensées originales et profondes.

Deux idées, avons-nous dit, dominent la philosophie de la nature de Lamennais : l’idée d’évolution et l’idée trinitaire.

L’idée évolutionniste est si bien l’idée fondamentale de l’Esquisse, que Lamennais s’en sert connue de préambule et comme de programme au début de son quatrième volume, qui a pour objet la science. Ainsi le chapitre II est intitulé : Évolution de l’univers et ses rapports avec l’évolution de la science. Maintenant, de quelle évolution s’agit-il ? Est-ce d’une évolution purement matérielle, comme celle des Anglais ? Lamennais, au contraire, essaie de démontrer que la matière en elle-même ne contient aucun principe d’évolution. Suivant lui, la science du fini ou de la matière est absolument vide et aveugle sans la science de l’infini ; la science de l’univers appelle la science de Dieu.

Pour expliquer l’univers, il faut un double principe : un principe d’unité et un principe de diversité. Or la matière ne contient ni l’un ni l’autre. La matière n’est autre chose qu’un je ne sais quoi, fonds premier et inexprimable de toutes choses, et, qui lorsqu’on veut la réduire à quelque notion claire, se ramène à l’étendue pure. Or, l’étendue étant indéfiniment divisible, l’unité répugne à son essence. On doit la considérer comme une multitude indéfinie. Dans sa vraie idée, la matière n’est donc rien de réel ; c’est une négation. Le réel dans les corps n’est pas la matière, c’est la substance. La matière séparée de l’être se réduit donc à la multitude ; et, par conséquent, son concept répugne à l’unité. Elle ne donne pas plus d’ailleurs la variété. En effet, elle est en elle-même essentiellement homogène ; et l’étendue, qui en est la première et plus claire expression, est elle-même entièrement homogène, et ne peut par conséquent produire qu’un seul effet toujours le même. Étant donnée une somme de molécules similaires, toutes doivent agir de la même manière ; et pour que les diversités primitives pussent se produire, il faudrait que l’essence une et nécessaire agît sur elle-même pour se modifier ; mais « une essence qui, sans cesser d’être, cesse d’être elle-même, une