Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Angleterre. Mais son humeur batailleuse et son goût de satire s’en donnent à cœur-joie contre certains princes ecclésiastiques, contre les magistrats des villes libres en décadence, contre les autorités des cantons suisses. Ces petits tyrans étaient parfois les plus insupportables. Schlözer les crible de ses traits, les exaspère, parfois même les intimide. Il se moque de leurs menaces. Il proclame qu’aucune main n’est assez puissante pour opprimer injustement un Hanovrien protégé par son gouvernement. Et, en effet, aux réclamations des personnages grotesques ou odieux qu’il livrait à la risée publique, l’autorité hanovrienne répondait « que le roi d’Angleterre accordait à tous ses sujets une entière liberté de penser et d’écrire. »

L’exemple de Schlözer était bien tentant. Malgré les difficultés et les dangers, il fut suivi. Bientôt les publicistes s’enhardirent, en vinrent à réclamer la liberté de la presse et l’abolition de la censure. Faut-il dira qu’ils ne l’obtinrent pas ? Mais, en fait, pendant les dix années à peu près qui précédèrent la révolution, — de 1778 à 1788, — la presse politique gagna chaque jour du terrain, jusqu’à donner de l’ombrage à ses ennemis les plus modérés et des inquiétudes à ses plus sages amis. — Ceux-ci, parmi lesquels on comptait Schlözer lui-même, le conseiller d’état hanovrien Ernest Brandes et Schlosser, le beau-frère de Goethe, ceux-ci voyaient l’orage s’amonceler et auraient bien voulu le détourner. « Nous jouissons, disaient-ils, d’une liberté de la presse à peu près entière ; mais combien de temps en jouirons-nous ? Chaque abus qui en sera fait est un pas vers la suppression. » Toutefois cette presse, si libre qu’elle crût être, n’avait pas assez de prise sur les esprits pour déterminer un mouvement politique en Allemagne. Les publicistes ne se plaçaient guère au point de vue national allemand. Ils restaient en-deçà ou passaient au-delà. Tantôt ils poursuivaient avec une opiniâtreté méritoire un abus particulier, le mauvais gouvernement d’un évêque, par exemple, mais sans remonter à l’origine du mal, sans s’attaquer à la constitution de l’empire, qui permettait à un évêque d’être en même temps un souverain irresponsable. Tantôt, et le plus souvent, ils s’attachaient aux questions générales de la philosophie politique, en se gardant des applications trop directes. C’était d’ailleurs le goût du temps, en Allemagne comme en France. On aimait mieux discuter avec passion qu’étudier avec sang-froid ; on trouvait plus de charmes à la déduction théorique qu’à l’observation patiente des faits.

D’abord le principe de l’égalité naturelle. Tous les hommes naissent égaux, doivent jouir des mêmes droits et méritent un égal respect. Il n’est pas de principe pour lequel les philosophes du XVIIIe siècle aient plus constamment combattu, avec plus de feu et