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bout ? Toujours est-il que c’est le moment où le roi Milan s’est décidé à laisser sa couronne à son fils, en plaçant auprès de cet enfant de douze ans une régence composée de trois personnes et présidée par M. Ristitch, qui a été déjà régent il y a vingt ans pendant la minorité de Milan lui-même.

Qu’en sera-t-il maintenant ? Tout devient, par le fait, assez obscur, et le changement de règne ne simplifie rien. M. Ristitch s’est hâté d’inaugurer sa régence en se remettant en paix avec l’assemblée serbe et en choisissant un ministère radical. Il reste cependant une question délicate, plus délicate que toutes les autres. Le jeune roi couronné sous le nom d’Alexandre Ier a gardé une affection profonde pour sa mère dont on l’a séparé ; il lui a, dit-on, envoyé sa première pensée dès son avènement, et il n’aurait pas caché les sentimens qui l’animent. La reine Nathalie, malgré toutes les précautions que le roi Milan a prises en abdiquant, reviendra-t-elle à Belgrade, en Serbie, où elle trouverait, sans doute, de nombreux partisans ? Restera-t-elle dans son exil où elle n’a perdu ni sa dignité, ni son prestige de mère, ni sa popularité de souveraine ? C’est, on le voit, une situation singulièrement épineuse, d’où peuvent sortir de nouvelles crises intérieures ; mais il est une autre question qui n’est pas moins grave, qui touche aux rapports extérieurs de la Serbie, même à la politique de l’Europe. Le roi Milan s’est fait depuis longtemps, depuis quelques années surtout, le vassal encore plus que l’allié de l’Autriche et par l’Autriche de l’Allemagne. Ceux qui ont reçu de lui le pouvoir, M. Ristitch, les radicaux, sont, au contraire, par leurs idées, par leurs instincts, plus favorables au panslavisme, à la Russie, et tout ce qui se passe depuis quelque temps dans les Balkans est évidemment un succès pour la politique russe, qui, sans rien précipiter, reprend par degrés ses avantages. La disparition du roi Milan est un succès de plus qui peut avoir son contre-coup dans les autres états, même à Bucharest, surtout en Bulgarie, et il n’y a que quelques jours, un émigré, un ancien ministre bulgare, M. Zankof, publiait une conversation assez significative qu’il aurait eue avec le tsar à Pétersbourg. Les paroles qu’aurait prononcées l’empereur Alexandre III, sans avoir rien de directement menaçant, prouvent assez qu’il ne cesse pas de considérer la situation de la Bulgarie comme provisoire, et celui qui porte la couronne à Sofia comme un prince illégitime. Le jour où le cabinet de Saint-Pétersbourg aurait ressaisi son influence à Belgrade, il ne tarderait pas à la ressaisir à Sofia : de sorte que cette abdication, qui par elle-même n’est rien, pourrait bien être le commencement d’une recrudescence de l’éternel antagonisme entre l’Autriche et la Russie dans les Balkans.

Rien certes ne ressemble moins à ce qui se passe en Europe, que ce qui se passe au-delà des mers, dans la grande république américaine. Autant le vieux monde est livré aux conflits et aux révolutions toujours possibles,