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LORIS-MÉLIKOF

NOTES D’HISTOIRE CONTEMPORAINE.

Le général comte Loris-Mélikof vient de s’éteindre à Nice, où il finissait malade et oublié. L’excès de l’oubli a presque égalé l’excès récent de son insigne fortune. Le temps n’est pas loin où sa mort eût fait l’entretien de toute l’Europe, où elle eût paru une catastrophe nationale pour la Russie. Depuis trois quarts de siècle, depuis Spéransky, nul n’était monté si haut dans ce pays, nul n’y avait reçu des pouvoirs aussi étendus, avec un blanc-seing pour entreprendre une réorganisation de l’état.

Il resta fidèle alors aux amitiés nouées en des jours plus modestes. J’en puis témoigner, ce souvenir m’oblige envers le mort furtif et solitaire ; mais je n’en ressens aucune gêne pour parler de lui avec impartialité. Spectateur de sa tentative, j’ai gardé des doutes sur la valeur pratique des idées qui la dirigèrent : je n’ai jamais eu un doute sur la bonne volonté de l’homme. Il a pu se tromper; il n’a jamais fait le mal sciemment.

Cette esquisse sera forcément incomplète. Si reculés que paraissent les événemens auxquels elle nous reporte, ils sont encore trop proches pour que l’histoire y moissonne en toute liberté. En retraçant le rôle de Loris, on devra taire des circonstances qui achèveraient d’en éclairer les côtés obscurs. On évitera autant que possible de nommer ses collaborateurs encore vivans. Quelques-uns d’entre