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résidence, le Trésor, avec des droits moindres, perçoit ou gagne autant qu’avant la Révolution : en 1809 et 1810, 20 millions sur le tabac, 54 millions sur le sel, 100 millions sur les boissons, puis, à mesure que le contribuable devient plus riche et plus dépensier, des sommes de plus en plus grosses : en 1884, 305 millions sur le tabac, en 1885, 429 millions sur les boissons[1], sans compter une centaine d’autres millions levés encore sur les boissons par l’octroi des villes. — Enfin, avec une prudence extrême, le fisc se dérobe et parvient presque à épargner au contribuable la présence et le contact de ses agens. Plus d’inquisition domestique. Le gabelou ne fond plus à l’improviste chez la ménagère pour goûter la saumure, vérifier que le jambon n’est point salé avec du faux sel, constater que tout le sel du devoir a bien été employé « pour pot et salière. » Le rat de cave ne fait plus irruption chez le vigneron ou même chez le bourgeois pour jauger ses tonneaux, pour lui demander compte de sa consommation, pour dresser procès-verbal en cas de « gros manquant ou de trop bu, » pour le mettre à l’amende si, par charité, il a donné une bouteille de vin à un malade ou à un pauvre. Les 50,000 douaniers ou commis de la ferme, les 23,000 soldats sans uniforme qui, échelonnés à l’intérieur sur un cordon de 1,200 lieues, gardaient les pays de grande gabelle contre les provinces moins taxées, rédimées ou franches, les innombrables employés des traites et barrières, appliqués comme un réseau compliqué et enchevêtré autour de chaque province, ville, district ou canton, pour y percevoir sur vingt ou trente sortes de marchandises, quarante-cinq grands droits généraux, provinciaux ou municipaux, et près de seize cents péages, bref le personnel de l’ancien impôt indirect a disparu presque entier. Sauf à l’entrée des villes et pour l’octroi, les yeux ne rencontrent plus de commis ; les voituriers qui, du Roussillon ou du Languedoc, transportent à Paris une pièce de vin, n’ont plus à subir, en quinze ou vingt endroits différens, ses perceptions, ses vexations, son bon plaisir, ni à lui imputer les douze ou quinze jours dont son prédécesseur allongeait inutilement leur voyage, et pendant lesquels, dans son bureau, oisifs, à la file, ils devaient attendre ses écritures, sa quittance et son laisser-passer ; il n’y a plus guère que le cabaretier qui voie chez lui son uniforme vert ; après l’abolition de l’inventaire à domicile, près de 2 millions de propriétaires et métayers vignerons sont pour toujours débarrasses de ses visites[2] ; désormais, pour les consommateurs, surtout pour les gens du

  1. Stourm. I, 360, 389. — De Foville, 382, 385, 398.
  2. Ce chiffre est donné par Gaudin.