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ouvrables ils ne se voient pas plus qu’autrefois Castor et Pollux. L’entraînement que subit l’industriel aux longues journées et au travail nocturne est dû, prétend-on démontrer, à des causes économiques évidentes : on épargne ainsi sur les frais généraux, puisque, avec une même usine, les mêmes machines, on fait beaucoup plus d’ouvrage : cela évite des constructions nouvelles et un accroissement de matériel. Même en augmentant le salaire pour le travail de nuit, le patron trouve, par l’économie de ces frais généraux, un bénéfice industriel notable. Puis, comme on a l’esprit subtil, on fait remarquer que l’industriel a un intérêt à user ses machines le plus vite possible en les faisant travailler continuellement, parce que, toujours menacé d’inventions nouvelles, l’outillage, si on le mettait au régime des courtes journées, pourrait devenir vieilli et démodé quoiqu’il n’eut encore que médiocrement servi.

Pour achever toute cette démonstration, on fait appel aux livres spéciaux, aux rapports surtout des inspecteurs de fabrique, soit d’Angleterre, soit d’Allemagne, aux mémoires des médecins et des philanthropes. Tous ces personnages techniques, comme tous les hommes professionnels du monde, affirment que leurs soins sont indispensables, que leurs attributions sont trop limitées, que le mal contre lequel ils luttent est terrible, qu’il faut renforcer leur action, accroître leurs pouvoirs, augmenter leur nombre, etc., que, si on ne le fait, la société, qui porte dans son sein un germe de mort, dépérira et finira par mourir.

Voilà le tableau que l’on présente sans cesse au public, au gouvernement, aux assemblées, pour les pousser à intervenir de plus en plus dans le régime du travail. Dieu nous garde de prétendre qu’il n’y ait rien de vrai dans ces plaintes ! Mais les exagérations y sont évidentes, les omissions regrettables ; l’examen est superficiel, unilatéral ; il oublie le passé, il oublie même dans le présent toutes les professions si diverses qui s’exercent dans l’atelier domestique, parfois même aux champs, et dont beaucoup n’ont pas moins d’inconvéniens soit matériels, soit moraux que ceux qu’on énumère avec une si poignante complaisance.

Certainement « le machinisme » facilite l’entrée des enfans et des femmes dans beaucoup d’industries qui leur étaient autrefois fermées ; mais on néglige de voir ou de dire qu’il les exclut de certaines autres où ces êtres frêles étaient constamment employés autrefois. La mouture ne se fait plus par des femmes, ni le halage par des femmes et des enfans. Les femmes remplissent les ateliers de tissage ; mais les hommes leur ont succédé dans la filature ; la machine a interverti ainsi beaucoup de tâches, et non-seulement la machine, mais la production et le commerce en grand. Dans les magasins de nouveautés, où il faut remuer de très gros paquets,