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les femmes sont devenues moins nombreuses ; les hommes les y ont remplacées ; un changement de même nature s’opère dans le blanchissage en grand, où l’on commence d’introduire des machines exigeant de la force musculaire ; par contre, les femmes profitent de beaucoup d’industries nouvelles, la photographie, les téléphones ; dans l’imprimerie même elles tiennent une place. Les hommes, évincés de diverses occupations, voient s’ouvrir devant eux d’autres carrières, sinon nouvelles, du moins singulièrement agrandies, ainsi l’industrie des transports avec toutes ses annexes qui s’est si prodigieusement développée. Il n’est pas vrai que la femme prenne dans l’industrie la place de d’homme. La science et ses applications amènent seulement des interversions dans le rôle industriel des deux sexes, certains travaux, autrefois pénibles, devenant soudain aisés ; d’autres, au contraire, faciles autrefois, exigeant, par les procédés nouveaux, un plus grand déploiement de force. Ces interversions, qu’amènent les incessantes découvertes du génie moderne, profitent à l’ensemble de la civilisation, à la production dont elles abaissent le prix, à la consommation qu’elles facilitent par le bon marché, aux ouvriers et ouvrières dont les salaires tendent à se proportionner sur le résultat produit par leur labeur.

Il faudrait des développemens infinis pour répondre à toutes les allégations de ceux qui soutiennent que les manufactures et les machines ont détérioré la situation matérielle et morale de l’ouvrier. Nous oublions, disait Rossi, les blessures profondes de nos ancêtres et nous sommes émus de nos moindres piqûres. Sans remonter aux temps anciens, tous ceux qui lisent les enquêtes du deuxième quart de ce siècle, celles de Villermé ou de Blanqui sur les ouvriers de la petite industrie et sur le travail dans l’atelier domestique, verront que les descriptions de ces observateurs sont beaucoup plus navrantes et ont un caractère plus précis et plus probant que les lamentations présentes. Il en est de même de la très précieuse collection des monographies des Ouvriers des deux mondes, publiées vers le milieu de ce siècle sous la direction de M. Le Play. Le travail domestique d’autrefois y apparaît avec toute sa dureté. La famille n’était pas toujours clémente, dans ces temps de moindre sensibilité, ni pour la femme ni pour l’enfant. On voyait dans le tissage des châles en chambre les jeunes filles de dix à douze ans lançant la navette pendant douze ou treize heures par jour. Un médecin, le docteur Haxo, nous émouvait sur le sort des brodeuses des Vosges, silencieusement courbées sur leur ouvrage jusqu’à dix-neuf heures sur vingt-quatre, mangeant assises à leur travail, leur pain sur les genoux, sans quitter l’aiguille, de peur de perdre un quart d’heure. Un autre nous décrivait les maladies des dentellières, la faiblesse de la vue, résultat du travail