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en avant, courent au-delà, s’élancent plus haut, occupent d’avance le poste supérieur où il compte monter à la première vacance, et, sous ce régime, les vacances sont nombreuses. — Dans le militaire et parmi les grades d’officier, on peut les évaluer à près de quatre mille par an[1] ; dès 1808 et 1809, mais surtout après les désastres de 1812 et 1813, ce ne sont plus les emplois, mais les sujets qui manquent ; Napoléon est obligé de prendre pour officiers des adolescens aussi imberbes que ses conscrits, des apprentis de 1S ans qui, après un an ou six mois d’Ecole militaire, achèveront leur apprentissage sur les champs de bataille, des écoliers de philosophie ou de rhétorique, des enfans « de bonne volonté[2] ; » le 23 décembre 1808, il en demande à ses lycées 50, qui auront tout de suite les galons de sous-officiers ; en 1809, 250, qui serviront dans les bataillons de dépôts ; en 1810, 150 de 19 ans, « sachant la manœuvre » et qu’on enverra dans les expéditions lointaines avec le brevet de sous-lieutenant ; en 1811, 400 pour l’école des sous-officiers de Fontainebleau, 20 pour l’île de Ré, et 84 qui seront fourriers ; en 1812, 112, et ainsi de suite. Naturellement, grâce aux vides annuels et croissans que vont faire le canon et la baïonnette, les survivans de cette jeunesse monteront de plus en plus vite ; en 1813 et 1814, il y a des lieutenans-colonels, des colonels de 25 ans.

Dans l’ordre civil, si l’on est moins tué, on est presque autant surmené. Sous ce règne un homme s’use vite, au physique et au moral, même dans les emplois pacifiques, et cela aussi fait des vacances ; d’ailleurs, à défaut de la mort, des blessures et de l’élimination violente, une autre élimination, non moins efficace, opère de ce côté, et depuis longtemps, en faveur des hommes de mérite, pour leur préparer des places et pour accélérer leur avancement. Napoléon n’accepte que des candidats compétens ; or, en 1800, pour les places civiles, il y a disette de candidats acceptables, et non pas, comme en 1789 ou comme aujourd’hui, surabondance, encombrement. — Dans l’ordre militaire, la capacité est surtout innée ; les dons naturels, courage, sang-froid, coup d’œil, activité physique, ascendant moral, imagination topographique, en sont la principale part ; en trois ou quatre ans, des

  1. Sur 50 hommes dans l’infanterie, on peut compter 1 officier ; dans la cavalerie, c’est 1 officier sur 25 ou 30 hommes, et ces chiffres sont des maxima. — Ce taux de 1 officier sur 50 hommes indique que, parmi les 1,700,000 hommes qui ont péri de 1804 à 1815, il y avait 34,000 officiers, ce qui donne environ 3,000 vacances par an, auxquelles il faut ajouter les vacances produites par les blessures, l’incapacité du service et la retraite. De plus, il faut noter que la mort ou la retraite d’un officier au-dessus du grade de sous-lieutenant fait plusieurs vacances, et des vacances d’autant plus nombreuses que le grade est plus élevé. Quand un capitaine est tué, il y a trois promotions, et ainsi de suite.
  2. Lunet, Histoire du colline de Rodez (circulaires du ministre), p. 228.