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de la citadelle mongole et les minarets de la grande mosquée, qui développe son enceinte ajourée au sommet de ses parvis géans. Ces colonnes n’ont pas toujours occupé leur place présente. Au milieu du XIVe siècle, l’empereur Firouz-Shah les avait trouvées, l’une à Mirath, l’autre aux environs de Khizrabad. C’est lui qui les fit transporter sur l’emplacement qu’elles occupent. Il avait été frappé de leur aspect, intrigué par les caractères gravés sur leur fût; il en voulut savoir le sens. Aucun des brahmanes ni des savans auxquels on s’adressa ne les put lire. On raconte pourtant que tous ne restèrent pas muets ; plusieurs Indous, plus courtisans que philologues, y découvrirent une prophétie : elle annonçait que personne ne serait capable de déplacer la colonne jusqu’au jour lointain où un empereur musulman, du nom de Firouz, était destiné à lui assigner un site nouveau.

L’embarras des savans européens ne fut guère moindre que celui des Indous quand, au commencement de ce siècle, l’attention se porta sur ces monumens. Ils furent des premiers connus, dessinés, décrits, copiés. Les colonnes de Dehli n’étaient point uniques ; on en signala successivement trois autres, dont une à Allahabad, au confluent de la Jumna et du Gange ; toutes portaient des caractères exactement semblables à ceux de Dehli. Ils restaient cependant lettre close. Le récit des efforts qu’ils ont coûtés ne serait pas dans l’histoire scientifique de ce temps un des épisodes les moins dignes d’intérêt. On me permettra d’en rappeler les premières étapes.

En 1833, la Société asiatique du Bengale, fondée à la fin du siècle dernier par les pionniers des études indiennes, en particulier par William Jones, choisissait pour secrétaire, pour éditeur de son journal, l’homme dont le nom reste glorieusement lié à cette exploration. James Prinsep n’était point un philologue de profession ; sa connaissance des langues anciennes de l’Inde était sommaire; son ardente et universelle curiosité, servie par une admirable vivacité d’intelligence, par une pénétration presque divinatrice, suppléait aux lacunes et l’armait merveilleusement pour le premier travail de découverte.

De la rapide conquête d’Alexandre, il resta un souvenir durable au nord-ouest de l’Inde, dans le royaume de Bactriane, et dans les dynasties grecques qui étendirent la main sur le Pendjab. De deux de ces princes, il nous est parvenu des monnaies bilingues ; la légende grecque du roi Agathoclès permit à Lassen de reconnaître la valeur des lettres de la légende indienne; Prinsep, mis sur cette voie, élargit la trouvaille; il appliqua la même méthode aux monnaies du roi Pantaléon. Les caractères gravés sur ces médailles