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défunt avec des-gestes et des contorsions infiniment variés. Le Passionnale est moins mouvementé ; mais l’effort d’expression ici s’est porté sur les traits du visage. Plusieurs des enluminures, le frontispice, le Couronnement de Marie, présentent déjà le type particulier de vierge des premiers tableaux de Cologne, qu’elles rappellent aussi par la douce pureté des lignes. Ailleurs, dans l’Armenbibel de Constance, le sentiment se traduit par mille détails d’une fantaisie enfantine : la jeune Marie, présentée au temple, regarde fièrement dans les yeux le Grand-Prêtre ; le petit Jésus se retourne pour tendre le bras à saint Joseph, qui marche gravement derrière lui. Et cette fantaisie va jusqu’à la caricature dans l’Armenbibel de Munich, où les personnages de l’Ancien Testament se trémoussent en pourpoints étroits, avec de grandes bottes et d’énormes éperons. Autant de façons d’expression différentes que nous allons retrouver dans l’histoire de la peinture allemande, à travers les trois siècles de sa durée.

Au contraire de la miniature, la fresque ne pouvait guère convenir aux peintres allemands. Outre les difficultés du genre, qui suppose une extrême habileté manuelle et une extrême justesse de vision, les Allemands avaient encore, pour les détourner de la fresque, le caractère spécial de leur architecture. En coupant de larges fenêtres les intervalles des piliers, en multipliant les détails architectoniques, l’art gothique rendait la pointure à la fresque particulièrement malaisée. Aussi les fresques allemandes sont-elles fort peu nombreuses et sans grande importance[1]. A peine peut-on signaler deux peintures bien caractéristiques : les décorations murales du château de Runkelstein, dans le Tyrol, longues processions de jeunes seigneurs et de nobles dames, et les merveilleuses fresques de l’église de Ramersdorf. Ces dernières surtout méritent d’arrêter l’attention. Il est curieux de voir à quel point s’y retrouvent les traits distinctifs des miniatures allemandes, notamment du Passionnale de Prague. Sous de vives couleurs, — rouge, bleu et jaune, — les personnages présentent des formes élancées, dessinées sommairement, avec des têtes trop petites, des extrémités trop longues et trop maigres. Mais les expressions sont d’une douceur surnaturelle. Ces petits visages pâles semblent perdus dans un rêve souriant et pieux, dont les situations les plus pathétiques ne parviennent pas à les éveiller. Parfois même l’artiste anonyme, à force de sentiment, réalise des figures parfaitement belles : ainsi deux petits

  1. Ajoutons cependant que, de jour en jour, on découvre dans les églises des bords du Rhin de nouvelles traces de fresques. L’église de Schwarzrhein, près de Bonn, a même gardé toutes ses peintures du XIVe siècle.