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l’exactitude y est plus vif, et moindre le sentiment de la beauté idéale ; mais ce sont, en somme, les mêmes poses immobiles, les mêmes formes maigres et pâles (moins pâles cependant) se dessinant sur un fond d’or ou de bleu étoile.

Malgré toutes les théories des historiens, il n’y a eu, en Allemagne, au XIVe siècle, qu’une seule école vraiment originale et nationale : l’école de Cologne. Mais l’on peut bien dire que jamais une école ne fut plus spontanée, plus indépendante d’influences étrangères, plus homogène, plus merveilleusement adaptée à l’état des âmes qui l’ont faite ou vue naître.

Cologne, d’ailleurs, avait toujours été et devait rester jusqu’au XVIe siècle la capitale artistique de l’Allemagne. Toujours aussi elle en avait été la capitale religieuse, le foyer intellectuel et moral. Lorsque se produisit en Allemagne le mouvement mystique que nous avons signalé, c’est à Cologne qu’il trouva son expression la plus marquée. Il y revêtit la forme très spéciale d’un idéalisme religieux condamnant toute considération du monde extérieur. C’est là que le dominicain Albert prêchait l’abandon de toutes les illusions terrestres et le recueillement de l’âme en elle-même. C’est là que maître Eckhart (mort en 1329) et, plus tard, le fougueux Tauler (mort en 1361) recommandaient, avec un renfort de puissantes images et d’imprécations, le renoncement à toute réalité externe, à toute personnalité, à toute action. « Le but de l’homme, disait Tauler, n’est point l’action, mais l’émotion. » Et les masses se pressaient à ces prédications, accueillaient avidement des théories qui s’accordaient (avec leur amour naturel de la rêverie passive, comme avec leur peu dégoût pour l’observation extérieure.

C’est dans ces conditions, c’est de ces croyances qu’est née la peinture de Cologne. Elle s’adressait à des âmes pour qui le monde extérieur n’existait pas, pour qui l’unique idéal était l’émotion religieuse. Mais cette émotion était si naïve et si puissante que, au lieu du monde extérieur qu’elles ne voyaient pas, les âmes allemandes voyaient ingénument surgir des formes surnaturelles ; elles incarnaient en de pieuses images la vierge, le Sauveur, les saints et les anges. Les peintres de Cologne n’ont eu qu’à préciser, à reproduire ces visions sacrées. Ils nous ont laissé une peinture extraordinaire, tout à fait en dehors de toute réalité : et cependant vivante, parce qu’ils l’ont tirée du profond de leur cœur ; et cependant belle, parce qu’elle traduisait le patient effort de leur pensée pour se figurer les types parfaits de la beauté.

Assurément les œuvres de l’ancienne école de Cologne ne présentent pas, dans l’histoire de l’art, un cas tout à fait unique. Elles rappellent, par leur intention et par plus d’un trait de leur