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se complique et se précipite. On ne s’arrête plus, on ne peut plus s’arrêter. 1789 a pour lendemain 1793 et le reste. Les 5 mai, les 4 août du début sont suivis, à peu d’années d’intervalle, des 10 août, des 2 septembre, des 21 janvier, des 31 mai. La réforme bienfaisante des premiers jours devient la révolution sanguinaire qui met la nation en guerre avec elle-même et avec l’Europe. Les espérances indéfinies, les illusions, les idées les plus généreuses disparaissent momentanément dans l’anarchie et dans la terreur. La république, qui a cru détruire la monarchie, la plus vieille monarchie de l’univers civilisé, va se perdre elle-même dans l’imbécillité et dans le sang, — et, au bout de tout, de cette confusion gigantesque sort un jeune héros qui ne rend la sécurité à la France que par l’omnipotence la plus absolue, en se faisant lui-même le représentant couronné de cette révolution mise à mal. Étrange dénoûment d’une grande crise inaugurée au nom d’un libéralisme illimité !

On a eu l’idée singulière, à l’occasion des fêtes prochaines, de former dans ce qui reste des Tuileries incendiées, — le lieu était bien choisi, — Ce qu’on a appelé un musée de la révolution française. Par elle-même, à part quelques portraits qui peuvent piquer la curiosité, cette exposition n’a certes rien de frappant, rien d’original, rien qui ne soit même assez médiocre. Elle est surtout disproportionnée avec l’objet qu’on s’est sans doute proposé et son autel de la patrie est une assez pauvre exhibition. Elle a cependant cela de caractéristique, sans qu’on y ait probablement songé, qu’elle représente d’une certaine manière la marche fatale des événemens : d’abord le roi Louis XVI, les états-généraux, l’assemblée constituante, tout ce qui rappelle le temps des beaux rêves ; puis l’assemblée législative, puis la Convention avec ses bourreaux et ses victimes, puis le Directoire, puis enfin le 18 brumaire avec Bonaparte : voilà où tout aboutit ! c’est la traduction en images de ce que M. de Falloux disait un jour où, pressé par les révolutionnaires de l’assemblée de 1848, il remettait sous leurs yeux les grandes dates sinistres, le 2 septembre, le 31 mai, le 9 thermidor : « Pétion tombant après Bailly, après Pétion Barnave, après Barnave Danton, après Danton Robespierre, — puis le despotisme est venu qui a fait taire toutes ces voix et qui a muselé tous ces tigres. » Et comme on reprochait à M. de Falloux de s’arrêter au 18 brumaire, de ne pas aller plus loin, jusqu’en 1815, il reprenait vivement, sans embarras : « Et 1815 aussi !.. C’est l’inexorable logique, et quand vous rentrerez dans la même voie, vous arriverez à la même date… vous ne pouvez pas être pris en traîtres, tout cela est écrit en traits ineffaçables dans l’histoire et dans le cœur humain… » C’est l’histoire éternelle, en effet, et voilà pourquoi devant cette commémoration nouvelle les esprits sincères ne peuvent se défendre d’une secrète et poignante émotion à la pensée de tout ce qui est arrive, de tant d’espérances et de vœux trompes, de tous les excès qui