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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/323

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pour amener l’ordre et la méthode dans les dépenses de la marine, on peut dire qu’une mesure de ce genre est absolument indispensable pour mettre fin au désordre inouï qui règne au ministère de la guerre. Ce département, qui est doté d’un demi-milliard dans le budget ordinaire, et qui a absorbé 3 milliards au titre extraordinaire, se dérobe à tout contrôle. Dès qu’on paraît vouloir soulever une objection, dès qu’on demande une explication sur une dépense, les nécessités de la défense nationale sont mises en avant : aussitôt les millions sont votés sans compter, et la moindre hésitation est taxée de manque de patriotisme. Cependant, même parmi les amis déclarés du gouvernement, quelques personnes commencent à se demander si tous les millions votés par le parlement ont reçu un emploi utile et judicieux, et si à la guerre comme à la marine, Les dix-huit ou vingt ministres qui ont passé au pouvoir, comme des météores, n’ont pas sacrifié trop facilement à des visées personnelles ou à des théories préconçues une partie des ressources mises à leur disposition. Comment hésiterait-on à essayer tous les modes d’équipement, tous les systèmes d’armement ou de fortification, lorsque l’argent surabonde, et qu’on peut se permettre les expériences les plus coûteuses sans avoir à redouter la critique ? Pour notre part, il ; nous est impossible d’apercevoir pourquoi le patriotisme imposerait aux pouvoirs publics une confiance aveugle, ni quelle peut être l’utilité du mystère dont l’administration de la guerre se plaît à s’entourer. Que, dans les premières années qui ont suivi la guerre, on ait cherché à dérober aux étrangers le secret de notre dénûment, c’était une préoccupation pieuse, une illusion respectable qu’on aurait mauvaise grâce à condamner ; mais la France n’en est plus là au bout de dix-huit ans d’efforts. S’il est un fait incontestable, c’est que tous les ministres de la guerre, en Europe, ont dans leur cabinet le plan détaillé de toutes les forteresses des pays voisins ; c’est qu’il ne se remue nulle part une pelletée de terre en France, en Allemagne, en Italie, en Russie, sans que tous les gouvernemens en soient informés dans les vingt-quatre heures. On est vraiment tenté de croire que toutes les petites dissimulations de notre administration militaire ont beaucoup moins pour objet de cacher à nos ennemis des choses qu’ils connaissent parfaitement, que de se soustraire au contrôle du parlement et du pays.

Quand l’Angleterre, au plus fort de la guerre de Crimée, a reconnu qu’elle n’avait ni armée organisée, ni réserve, ni intendance, ni service hospitalier, a-t-elle redouté la publicité pour des constatations aussi attristantes ? Son gouvernement a-t-il sollicité un blanc-seing pour remédier mystérieusement à d’aussi déplorables