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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/324

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lacunes ? Il a été le premier à faire la pleine lumière, il a dit tout haut quels étaient les besoins du pays, quel argent lui était indispensable et quel emploi il en comptait faire : l’Angleterre en a-t-elle été diminuée ou affaiblie aux yeux de l’Europe ? Quand les événemens de 1870 ont fait voir quelle révolution s’était accomplie dans l’art de la guerre, l’Angleterre a refondu une seconde fois son organisation militaire : elle l’a fait au grand jour, comme en 1855, sans dissimuler quels points elle croyait devoir fortifier, ni quel mode de fortification et d’armement elle adopterait. Si, en France, on avait chargé une commission d’officiers-généraux d’élaborer un plan général auquel le ministre de la guerre aurait dû se conformer, si les questions techniques avaient été soumises à des comités compétens, on n’aurait pas vu des travaux être entrepris, puis abandonnés, puis repris sans explication plausible de ces changemens ; on n’aurait pas vu tout modifier arbitrairement depuis l’armement jusqu’aux uniformes. Si le contrôle parlementaire avait pu s’exercer, il eût refréné le goût immodéré de l’administration militaire pour les approvisionnemens gigantesques ; il eût épargné à la France les millions que représentent le biscuit moisi ou rempli de vers qu’on jette ou qu’on vend pour engraisser la volaille, ou les effets d’habillement, mangés par les mites et mis hors d’usage sans avoir jamais servi.

Il semble qu’aux yeux de l’administration de la guerre notre industrie soit demeurée dans l’enfance, que les machines et la vapeur soient inconnues dans notre pays, et que nos fabricans soient hors d’état de rien produire en sus de la consommation quotidienne. Cette administration entasse dans ses magasins, en quantités excessives, des objets de toute nature, comme si ces approvisionnemens étaient à l’abri de toute détérioration par cela seul qu’ils lui appartiennent, et comme si l’intérêt des millions, inconsidérément dépensés par elle, ne constituait pas un sacrifice onéreux autant qu’inutile. Le général Farre a confessé un jour à la tribune qu’il avait en magasin des chaussures pour douze ans. L’administration ne tient aucun compte des situations géographiques : elle agit en Normandie, en Bretagne ou en Gascogne comme si les besoins de la défense y étaient les mêmes que dans les régions voisines de la frontière. Elle manifeste pour les produits étrangers une prédilection dont on lui fait un grief, non sans quelque raison, puisqu’elle ne s’explique pas par le souci de l’économie. On lui reproche d’avoir abandonné, pour certaines fournitures, le système de la régie directe, c’est-à-dire de l’achat par petites quantités et sur place des denrées dont elle a besoin pour le système de l’entreprise, c’est-à-dire des grandes adjudications, embrassant les fournitures à faire