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Le moment lui avait paru opportun de donner à la fois un avertissement à la Prusse et un témoignage de sa reconnaissance à la Suisse par une démonstration militaire.

Les correspondances du comte de Hatzfeld n’avaient pas fait pressentir une aussi grave détermination. Elles montraient Louis Napoléon impuissant, aux prises avec les partis. Ce ne sont pas les renseignemens qui font défaut aux diplomates accrédités à Paris ; le difficile pour eux est de se placer assez haut pour démêler la vérité au milieu des passions qui s’agitent autour d’eux. M. de Hatzfeld assurément était bien placé pour savoir ce qui se passait dans les sphères gouvernementales. Mais son esprit timide, tatillon, n’était pas fait pour pénétrer « les vues souterraines » et les brusques évolutions d’un esprit aussi compliqué que celui de Louis Napoléon. L’accueil toujours gracieux et empressé qu’il recevait à l’Elysée ne lui permettait pas de prévoir que, du jour au lendemain, on romprait en visière à sa cour. « Il est deux langages, disait Joseph de Maistre, l’un de convention, tout en complimens et en protestations d’éternelle amitié, et l’autre sonore, laconique, qui atteint la racine des choses, les causes, les motifs secrets, les effets présumables et les vues souterraines.» Cette langue laconique sonore qui atteint la racine des choses n’était pas celle du ministre du roi à Paris ; elle n’était que trop celle de l’envoyé du prince-président à Berlin.

La Prusse, il faut bien le reconnaître, avait manœuvré avec une insigne maladresse. Après avoir recherché l’appui de la France, qui lui était indispensable, pour assurer ses desseins au nord de l’Allemagne, elle avait soulevé imprudemment une question qui nous tenait à cœur, et sur laquelle, avec la meilleure volonté du monde, nous ne pouvions transiger. Grisée par le succès du parti conservateur aux élections d’Erfurt et par l’impassibilité apparente du cabinet de Vienne, en face de sa politique envahissante, elle avait cru pouvoir résolument aller de l’avant. Révolutionnaire en Allemagne, elle s’était posée en champion de la réaction et du droit divin en Suisse. Elle avait trop auguré de ses forces et de son ascendant moral. Elle n’était pas de taille à poursuivre à la fois la revendication de Neufchâtel et l’asservissement à sa domination des états allemands du Nord, au mépris des traités de Vienne, sans être certaine d’une solide alliance. S’imaginer qu’il suffirait de caresser les instincts conservateurs de la Russie et de l’Autriche, en leur proposant une coalition contre la Suisse, protégée par la France, c’était se méprendre sur les intérêts de leur politique. Toutes deux réprouvaient les projets de M. de Radowitz; le parlement d’Erfurt, avec ses tendances constitutionnelles et nationales, était à leurs yeux un danger plus sérieux pour les principes