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les routes d’étape, où d’après les conventions elles avaient le droit de cantonner. La conscience du roi s’était réveillée de nouveau. Plus flottant que jamais entre la honte d’un recul et la folie d’une guerre, il avait cherché et croyait avoir trouvé son salut dans une transaction. Il s’était flatté qu’en donnant à ses soldats l’ordre de se replier, il calmerait l’Autriche menaçante et pourrait renouer avec elle les négociations si brusquement rompues. Il était trop tard. On jugeait mal à Berlin l’homme d’état qui avait pris la haute main dans les conseils de François-Joseph[1] ; on oubliait les sentimens vindicatifs des ministres dirigeans de Saxe et des cours méridionales. Ils avaient de vieux comptes à régler avec la Prusse, tous étaient résolus à en finir une bonne fois avec elle et à lui faire payer chèrement les audaces et les violences de sa politique. Le prince de Schwarzenberg n’était pas homme à se contenter de demi-concessions, l’occasion lui paraissait bonne pour résoudre à fond et définitivement la question du dualisme germanique. Il était entré au pouvoir à l’heure où l’Autriche, en lutte avec la révolution, en Italie, en Hongrie et en Bohème, combattait pour l’existence. Doué d’un esprit entreprenant, il avait sauvé la monarchie en mettant à son service toute l’ardeur de sa brillante nature. Il menait de front, comme les Peterborough et les Bentinck, avec une fougue égale, le plaisir et les affaires. Au mois de décembre 1850, le sort du royaume de Prusse était entre ses mains. Il avait trois magnifiques corps d’armée mobilisés en Bohème; 80,000 Bavarois étaient sur le pied de guerre, 20,000 Saxons occupaient l’Elbe jusqu’à Troppau, les contingens fédéraux hessois, badois et wurtembergeois étaient en marche, et l’armée prussienne, commandée par de vieux généraux, ne s’était pas couverte de gloire en se mesurant avec les Danois.

Le ministre autrichien connaissait la mobilité de caractère du roi, la désorganisation de son armée, les divisions et les incertitudes de son cabinet ; il se sentait soutenu par la Russie, suivi d’alliés impatiens de satisfaire de vieux et profonds ressentimens, et le gouvernement français, dont naguère il redoutait l’intervention, restait sous la pression de l’assemblée législative, silencieux, impassible.

  1. Il appartenait à une des plus anciennes familles de Bohème, la famille Tsernogora, germanisée sous le nom de Schwarzenberg. Il entra jeune dans la diplomatie, tout en continuant à faire partie de l’armée. Envoyé à Inspruck lors de la guerre d’Italie en 1848, par le maréchal Radetzky, pour relever le moral de la cour exilée de Vienne, il frappa l’empereur par l’énergie et la hauteur de ses vues, et lorsqu’à la fin de 1848 il s’agit de reconstituer l’empire, c’est à lui qu’on s’adressa. Il représentait dans le ministère le principe de la centralisation. Son père était, sous le premier empire, ambassadeur d’Autriche à Paria, et sa mère périt dans les flammes de l’incendie qui éclata dans la salle de bal à la fête donnée à l’ambassade d’Autriche à l’occasion du mariage de Napoléon avec Marie-Louise.