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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/384

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Il avait le vent en poupe; aussi parlait-il en grand seigneur, haut et ferme, certain de gagner la partie. Il exigeait que la Prusse évacuât non seulement Cassel, mais toute la Hesse y compris les routes d’étape, avec l’espoir que le roi, en retour d’un ordre aussi mortifiant, répondrait par une déclaration de guerre[1]. Pour rendre la blessure plus cuisante, on avait prescrit au baron de Prokesch de prendre ses passeports si dans les vingt-quatre heures, il n’était pas fait droit à cette injurieuse sommation. — Tout était à la guerre en Allemagne, il était question d’anéantir la Prusse et de se partager ses dépouilles. Le gouvernement du roi subissait ces haineuses attaques sans les relever ; mais la chambre n’y restait pas insensible : de toutes les provinces, disait son président, le comte de Schwerin, on nous crie qu’on ne veut souffrir aucune humiliation. « L’épée est tirée, répondait l’assemblée dans une adresse au roi, elle frappera énergiquement quiconque voudrait porter atteinte aux droits et à l’honneur de la nation. »

L’instant décisif était venu, et le conseil affolé ne savait que décider. Les ministres couraient chez le baron de Prokesch pour le supplier de retarder son départ. Dans les derniers jours de novembre, le général de Radowitz, abandonné par son souverain et par ses collègues, disparaissait brusquement, sous les décombres de sa politique, en butte aux plus amères récriminations. Le roi après ce sacrifice demandait en termes pressans à l’empereur Nicolas d’intervenir auprès de François-Joseph, et M. de Manteuffel, qui avait succédé à M. de Radowitz au ministère des affaires étrangères, expédiait dépêches sur dépêches au prince de Schwarzenberg pour obtenir une entrevue à Oderberg, sur les frontières de la Silésie, dans l’espoir de le ramener à la conciliation. Mais ses appels restaient sans réponse. Les représentans des cours allemandes alliées à l’Autriche s’opposaient à toute entente. Réunis dans les salons du prince, ils attendaient avec une fébrile impatience le mot décisif, celui de la vengeance pour le transmettre à leurs gouvernemens. L’ouverture des hostilités était imminente ; les armées coalisées n’attendaient plus qu’un signal pour s’ébranler et procéder à l’exécution fédérale de la Prusse par l’envahissement de son territoire, lorsqu’on apprit que le ministre prussien, sans être fixé sur la rencontre d’Oderberg, était parti précipitamment, comme poussé par une indicible terreur, pour Olmütz, où se tenait le gouvernement autrichien. L’orgueil prussien était profondément atteint, toutes les espérances dont on se berçait depuis trois ans recevaient le plus cruel démenti. La diplomatie du roi

  1. Dépêche télégraphique du prince de Schwarzenberg : « Si les troupes fédérales rencontraient dans leur marche une résistance ouverte de la Prusse, ce serait la guerre. »