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John-Jacob Astor, de Cornélius Vanderbilt, de Peter Lorillard et de tant d’autres, dont elles ont légitimé l’opulence par l’emploi qu’elles en ont fait. Ces millionnaires possèdent des revenus de rois sans aucune de leurs charges, et l’on comprend ce que leurs descendantes peuvent accomplir avec d’aussi puissans moyens d’action. Le bal costumé donné par Mrs William-K. Vanderbilt, le 26 mars 1883, pour inaugurer son palais de la cinquième avenue, auquel avaient travaillé pendant dix-huit mois six cents ouvriers et soixante sculpteurs amenés d’Europe, a dépassé en luxe, en diamans, en riches toilettes, ce que l’on a vu de plus somptueux dans les cours européennes ; l’on parle encore, à New-York, de la merveilleuse apparition de la maîtresse de maison en princesse vénitienne et de l’éblouissant costume de cour, copié d’après un portrait de Van Dyck, que portait lady Mandeville.

La tendance naturelle de toute aristocratie, qu’elle ait pour base la naissance, les services rendus ou la possession de la fortune, est de maintenir et de défendre ses privilèges, de former un cercle restreint et distinct. Les riches familles de New-York, les vieilles familles de Boston et de Philadelphie et les aristocratiques descendans des colons du Sud pratiquent le même exclusivisme ; leurs portes, hospitalières aux étrangers dûment accrédités, s’ouvrent difficilement aux parvenus qui sollicitent leur admission. Même entre elles, et à titres presque égaux, elles se tiennent à distance, et ces invisibles barrières d’une démocratique étiquette rappellent, à certains égards, celles de nos anciennes cours. Il ne fallut pas moins que l’éclat du bal des Vanderbilt pour consacrer leur entrée définitive dans la haute société de New-York, et que le tact et le savoir-faire de lady Mandeville pour amener Mme Astor, la reine de New-York, à faire à Mrs William-K. Vanderbilt une visite qui permît à cette dernière d’inviter à son bal une famille qui, jusqu’à ce jour, affectait d’ignorer son existence. Cet incident mondain prit, à l’époque, les proportions d’un événement ; il défraya les conversations des cercles et des salons, et la presse ne se fit pas faute d’entretenir ses lecteurs des péripéties de ce rapprochement[1].

Dans ce monde exclusif et opulent, le rôle de la femme est seul visible. C’est autour d’elle que se concentrent les recherches du luxe, l’apparat de la vie mondaine. Chroniqueurs et reporters gravitent à distance, à l’affût de ses mouvemens ; ses toilettes et ses villégiatures, ses réceptions et ses voyages sont enregistrés et notés. Le mécanisme complique de cette existence fait un étrange contraste avec ce milieu et ces institutions démocratiques. Secrétaire

  1. The Vanderbilts, by Croffut. Londres.