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morale et de froideur physique inhérent à la race ; les autres y ont vu un culte qu’aucune supériorité réelle ne justifie à leurs yeux ; tous ont noté les travers de l’idole : sa coquetterie, son amour du luxe, ses manières trop libres, sa gaîté trop bruyante, son goût douteux, son savoir superficiel, et ils se sont étonnés. Il y a du vrai dans tout cela, mais il y a plus et mieux en elle.

La coquetterie est innée chez la femme américaine, mais elle n’exclut pas les sentimens sérieux et profonds ; à se dépenser, à son heure, sur son terrain naturel pour aboutir à un résultat normal, cette coquetterie n’est que l’emploi légitime d’un instinct naturel. Leur amour du luxe est la conséquence logique, bien qu’exagérée, d’un courant irrésistible de prospérité qui entraîne le pays tout entier ; on ne saurait leur demander de le remonter ; leur intrépide optimisme, leur foi dans l’avenir, peuvent déconcerter notre pessimisme européen, mais sont justifiés par le passé. Leurs manières trop libres résultent de l’héréditaire indépendance et du respect qui les entoure ; elles en usent et abusent peut-être, mais l’usage et l’abus qu’elles en font n’a qu’un temps, et ces écervelées font, à tout prendre, des femmes fort raisonnables. L’exubérance de leur gaîté ne nuit pas au sérieux de leur esprit, et leur culture intellectuelle vaut, si elle ne la dépasse, celle de la plupart des femmes européennes.

Est-ce à dire que tout soit parfait, que la jeune fille et la femme américaine réalisent un idéal inconnu ailleurs ? Non, certes. Elles sont autres, et cela pour les causes que nous avons indiquées. Le point de départ, le milieu, les mœurs, les usages et les lois ont contribué, dans leurs mesures respectives, à les façonner, à les faire ce qu’elles sont. Dans quelle mesure ces facteurs divers ont-ils contribué à élever ou à abaisser le niveau moral de la jeune république depuis un siècle ? Quels résultats a donné cette conception du rôle de la femme, si différente de la nôtre ? C’est la question que se pose en ce moment la presse américaine, déconcertée par des procès retentissans, par des scandales, par l’incohérence et les contradictions des lois relatives au mariage et au divorce, par le nombre croissant des déclassées. Une question bien posée est à demi résolue. Les Américains abordent celle-ci, toute délicate qu’elle soit, avec une intrépide franchise. Elle vaut d’être étudiée ; il peut être utile de noter les conclusions auxquelles ils arrivent et les solutions qu’ils proposent.


C. DE VARIGNY.