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Louis XIV. Et les magistrats persistent à refuser aux particuliers, dans leurs arrêts, la qualification de « monsieur » ou « madame, » comme ils faisaient déjà il y a trois siècles. L’époque des vacances, la messe du Saint-Esprit, mille pratiques bizarres, telles que le discours de rentrée, prononcé par l’un de ceux qui représentent les « gens du roi. » sur « un sujet convenable à la circonstance, » tout cela marque une prédilection sérieuse pour la tradition. Or, depuis une vingtaine d’années, où tant de lois mal conçues, hâtivement votées, ont été mises en vigueur, la jurisprudence tend de plus en plus à jouer un rôle prépondérant ; l’interprétation du juge éclaircit. corrige, complète, ou laisse tomber en désuétude les volontés du législateur. C’est en vain que les juristes classiques de notre époque tonnent à qui mieux mieux contre « l’équité, » qu’ils la définissent « l’anarchie sous les apparences de l’ordre, l’auxiliaire de ceux qui mettent leur raison au-dessus de la règle ; .. » ils sont néanmoins obligés de reconnaître que, si la loi est muette, ou s’il est difficile de connaître sa véritable pensée, les juges peuvent alors s’inspirer de l’équité naturelle.

Au criminel, le pouvoir judiciaire exercé par le jury va plus loin encore : sous l’influence de l’opinion et des mœurs, il refait lentement le code pénal, annule quelques-unes de ses dispositions en refusant de les exécuter, modifie quelques autres en rédigeant ses réponses au président des assises de manière à faire tomber tels ou tels crimes sous le coup d’autres articles que ceux qui leur étaient originairement applicables, institue enfin de nouvelles peines ; — il est clair que l’acquittement réitéré des filles séduites, coupables de meurtres ou de tentatives de meurtres sur la personne de leur amant, constitue l’introduction d’une pénalité grave contre des séductions qui, aux yeux de la loi moderne, ne sont pas des crimes, et ne sont parfois pas même des délits.

Mais si le juge, juge de robe longue ou de redingote, s’ingère ainsi dans la confection de la loi, le pouvoir exécutif attente bien autrement à l’indépendance du pouvoir judiciaire ; et comme l’exécutif. d’après la constitution en vigueur, n’a par lui-même aucune personnalité, qu’il est seulement une délégation temporaire et toujours révocable de la chambre des députés, il s’ensuit que le législatif est actuellement le maître des deux autres, maître jaloux et capricieux s’il en fut, et que la séparation des pouvoirs n’existe plus.


II

Pour la rétablir, ou, si l’on veut être plus exact, pour la fonder, il faut que les juges deviennent libres d’interpréter toutes les lois,