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des bois que garde l’Amour en armes étale, en plein soleil, parmi le fouillis pétillant des branchages éclairés et des herbes éclatantes, les reliefs hardis de sa beauté charnue. L’effet est brutal, mais vif et osé. La plus subtile hardiesse, dans cet ordre d’études, se trouve chez un Suédois, M. Zorn, qui nous montre, sur une plage de Suède, parmi des rochers effrités qu’effleurent les lueurs tendres d’un soleil pâle, trois jeunes femmes à l’air. L’une d’elles, assise sur la pente, derrière quelques herbes, n’a plus qu’à retirer ses bas et ses bottines ; les deux autres, déshabillées, debout sur la plage, vont descendre dans l’eau. La disposition des figures, d’ailleurs assez incorrectes et molles, est piquante, naturelle, imprévue ; l’éparpillement joyeux de la lumière vive et douce sur les aspérités sèches des granits et dans les fraîches ondulations du sable, ses étincellemens et ses chatoiemens sur les saillies rosées des nudités en mouvement, sa fusion harmonieuse avec la blancheur des vagues apaisées, y sont étudiés par des yeux d’une délicatesse ingénieuse. Rien de moins classique assurément que cette fantaisie, où l’auteur ne se pique ni de purisme ni de science ; mais l’impression est vive, nouvelle et facilement rendue. Il semble que ces peintres du Nord sachent d’autant mieux jouir des enchantemens de la lumière qu’ils leur sont plus mesurés par un soleil avare ; nous aurons plus d’une fois l’occasion de le constater.

La poésie de la lumière unie à la poésie des formes, n’est-ce pas la plus haute formule de l’art de peindre, l’idéal poursuivi par tous les artistes de grande race ? Il n’est donné qu’à un petit nombre d’y atteindre, mais il est toujours glorieux de l’avoir cherché. M. Carolus Duran, en représentant, après Titien, après Rubens, après tant d’autres, le Triomphe de Bacchus, n’a pas pris, avec ce sujet démodé, toutes les libertés que ses admirateurs étaient disposés à lui accorder. A l’heure où nous acceptons que MM. Dagnan, Uhde, Cazin, renouvellent, comme Memling, Véronèse, Rembrandt, les sujets historiques et bibliques par l’introduction de l’ajustement et de l’expression modernes, il ne nous coûterait pas davantage de voir des sujets antiques, d’une signification générale, comme la plupart des mythes helléniques, traités avec l’indépendance qu’y apportaient les esprits naïfs du moyen âge et les esprits cultivés de la Renaissance. Cette indépendance, nécessaire au peintre comme au poète, n’a jamais blessé que les pédans. Au lieu de tant s’attacher à des souvenirs d’école, au lieu de juxtaposer, dans une composition bien équilibrée, mais d’un équilibre déjà connu et qui avait même servi à M. Cormon pour son Retour de Salamine, un si grand nombre de figures académiques, dont la filiation est trop facile à établir, pourquoi M. Carolus Duran ne nous a-t-il pas