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rend aussi : et, sans détours, sans préliminaires, à la seule condition que Roland ne lèvera jamais le voile qui la cache, qu’il ignorera son nom et gardera le secret de leur mystérieux amour, elle se livre au bien-aimé. Puis elle le congédie ; elle l’envoie à Blois, où certain roi, qui répond au nom de Cléomer, est assiégé par certain Sarrasin qui répond au nom de Sarwégur. Il faut que Roland aille sauver la ville avec une épée miraculeuse que lui remet Esclarmonde.

Il la sauve en effet, et Cléomer, obéissant à la manie qu’ont tous les rois d’opéra d’offrir leur fille aux ténors triomphans, propose à Roland la main de Bathilde. Roland la refuse et refuse aussi de dire ses raisons. L’évêque de Blois s’étonne, interroge au nom de Dieu lui-même Roland, qui, menacé de payer du salut de son âme un silence suspect, finit par avouer au prélat son hymen avec une fée. Le soir même. Esclarmonde arrive à l’appel de son époux. Mais l’évêque arrive aussi, avec tout son clergé. Il arrache à la jeune femme le voile qui la cache ; le charme est rompu : Esclarmonde disparait.

Désespéré, Roland s’est retiré dans la forêt des Ardennes. C’est là que, par un heureux hasard, s’était déjà relire l’empereur Phorcas ; Esclarmonde ne manque pas d’y venir à son tour, et Roland aussi. Sommée par son père de renoncer à son amant ou de le voir mourir. Esclarmonde feint de ne plus aimer Roland et l’abandonne, pour retourner à Byzance avec le vieil empereur.

Les temps sont accomplis ; le tournoi va s’ouvrir. Esclarmonde, quantum mutala, n’en sera pas moins la femme du vainqueur. Vous pensez bien que ce vainqueur ne saurait être que Roland. On le proclame donc l’époux de l’impératrice, ce qu’il était depuis quelque temps déjà.

Vous savez, car on l’a dit partout, que ce sujet est emprunté à un récit de trouvère du XIIIe siècle, l’histoire de Parthénopex ou Parthenopeus, comte de Blois, et de l’enchanteresse Melior, impératrice de Byzance. Denis Pyramus serait, paraît-il, l’auteur de cette légende, variante moyen âge, comme la légende de Lohengrin, de la fable antique de Psyché. Esclarmonde, c’est le Lohengrin des femmes.

Mais le héros wagnérien est autrement pur, autrement intéressant que cette petite Turque sensuelle. Esclarmonde ne s’est pas éprise de Roland, comme Lohengrin d’Eisa, par compassion, par attrait moral. Elle l’aime surtout physiquement ; elle le désire, et ne s’en cache pas. Elle se promet avec lui de brûlantes ivresses, des raffinemens voluptueux ; elle fera l’éducation amoureuse de cet adolescent ; et toutes ces perspectives nous font paraître Esclarmonde aussi désirable, comme elle dit elle-même, que désirante, mais pour les sens seulement. On n’aime guère les femmes qui font trop d’avances, qui prennent toute l’initiative d’amour : ou plutôt on les aime : par politesse d’abord, avec