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parlementarisme pur, c’est-à-dire le gouvernement des partis, présente d’immenses dangers. S’il a pu fonctionner en Angleterre, ç’a été grâce à des circonstances spéciales ; d’abord parce que le self-government, l’autonomie administrative empêche l’intrusion tyrannique du parlement dans l’administration locale. Cette administration est entre les mains de la classe dirigeante, soumise à une opinion publique calme et forte, avec laquelle il faut compter. De même dans les chambres, l’aristocratie est à la tête des deux grands partis organisés, avec des chefs obéis, qui alternent au pouvoir : ces partis sont d’accord sur les questions constitutionnelles fondamentales et capables aussi de donner à la politique étrangère une impulsion ferme, une direction suivie. Mais cette forme de gouvernement est aujourd’hui en décadence sur sa terre classique par suite de l’extension du suffrage et de l’affaiblissement de l’aristocratie qui devra céder la place à des hommes nouveaux moins expérimentés. Le parlementarisme devient impossible à pratiquer dans une démocratie avec le suffrage universel. L’expérience décisive a été faite en France, où les avocats lui ont creusé son tombeau. Il s’y traduit sous forme d’assemblées irresponsables, sorties d’élections populaires changeantes, composées d’hommes étrangers à toute tradition de gouvernement, à toute science politique, à toute compétence et incapables d’en acquérir à cause de la brièveté de leur mandat. Il en résulte que les intérêts constans de la société et de l’état se trouvent à la merci de majorités variables, de coalitions de hasard. Investies non pas seulement d’un pouvoir de contrôle, mais d’un pouvoir d’action, ces assemblées faussent et détraquent la machine constitutionnelle, se livrent à la chasse aux emplois, manquent de l’autorité, de l’union, de la stabilité, de la considération morale nécessaires pour dominer un grand empire et suivre au dehors une politique ferme et hardie. Un tel régime aboutit nécessairement au règne de la phrase et aux querelles anarchiques des partis.

Aussi est-ce une condition de salut pour l’Allemagne que le parlementarisme s’y développe moins que dans les autres pays. Comme dans la constitution américaine, le roi choisit ses ministres hors du parlement ; ils ne lui sont pas imposés par la majorité. Sans doute, pour que la législation soit féconde, le ministère doit s’appuyer sur une majorité. Mais si l’on reconnaissait au parlement le droit de veto, il pourrait causer un mal irréparable. Que serait-il advenu, si en 1865, lors du conflit, M. de Bismarck avait été renversé ? — Il ne s’agit point d’ailleurs de toucher à l’arche sainte du suffrage universel, ni de faire du conflit une institution, un système de gouvernement. Il suffit à M. de Treitschke que le parlementarisme se