encore, l’élan de notre nation, le tempérament du peuple, le génie de sa langue et de sa littérature, de tout temps adonnée aux simplifications et aux généralisations, jusqu’à l’esprit de sa philosophie imprégnée, depuis Descartes, de l’idée de progrès et de la toute-puissance de la raison. On réclamait, tout à l’heure, pour les libres penseurs anglais la priorité des idées du XVIIIe siècle ; on oubliait que, si Bolingbroke, Tindal et Toland ont précédé Voltaire et Diderot, ils ont été devancés par Fontenelle et par Bayle. La France du XVIIIe siècle était un magasin d’idées : si toutes celles qu’elle exposait à l’étalage ne provenaient pas de sa fabrique, c’est elle qui leur attirait les chalands. Elle y apportait une passion qui faisait de sa littérature comme une propagande religieuse. Elle avait l’enthousiasme de l’humanité, la foi dans la raison. Elle croyait que le monde pouvait être régénéré, et elle en eut l’ambition. Imprévoyance, présomption, chimère, tout ce qu’on voudra : il y eut, en 1789, une heure unique dans l’histoire, quelque chose de sublime dans la témérité même de ses aspirations, tenant à la fois de l’impétueuse générosité de la jeunesse qui se lie hardiment à la vie, de la première ferveur d’une religion qui commence, de l’émerveillement orgueilleux du savant qui croit découvrir des vérités nouvelles. Certes, nous avons crié, nos ambitions ont visé trop loin et trop haut, nous avons eu trop de confiance dans notre élan ; nous en avons été punis ; mais nous n’avons pas à en rougir. 1789 a été bien français ; la Révolution a eu les qualités, non moins que les défauts de la race.
« Ces principes nouveaux pour lesquels s’enflammaient nobles et bourgeois, la langue française les avait réduits en formules qui ont fait le tour de l’univers. D’où qu’elles vinssent, les idées de tolérance, de liberté, d’égalité n’ont remué le monde que lorsqu’elles ont été mises en français. Le français a été le véhicule de la Révolution. L’universalité de notre langue, vrai filtre à clarifier les idées, a merveilleusement aidé à la diffusion de nos principes. Ce qu’avaient commencé nos écrivains, nos armées l’ont continué. Sans Voltaire et sans Napoléon, il y aurait encore des serfs en Silésie. Mais les guerres de la Révolution ont moins fait pour la propagation des principes de 1789 que ces principes mêmes. Ils étaient envahissans de leur nature. Il y avait en eux une vertu, un charme, comme en ces paroles magiques auxquelles rien ne résiste : les murs des villes devaient tomber devant eux. Ils étaient de plus grands conquérans que Napoléon : la France n’a été vaincue que lorsqu’ils se sont retournés contre elle. Etant abstraits, ils étaient universels ; ils trouvaient accès dans chaque tête raisonnante. De là surtout le retentissement de la Révolution à travers le temps et