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répondu qu’il n’était pas un journaliste comme un autre, que ses sots confrères, qu’il méprisait cordialement, s’occupaient de donner des nouvelles vraies ou fausses, de fournir un aliment malsain à la frivole curiosité des oisifs, que, pour lui, il entendait autrement son métier, qu’ayant reçu du ciel une sainte et auguste mission, il se servait de sa plume pour protéger le bonheur des honnêtes gens contre les entreprises des coquins, qu’ils fussent procureurs, banquiers, évêques, malthusiens, ministres d’état ou rois. Dans une brochure devenue fort rare, qu’a su retrouver M. Vernes-Prescott, il a raconté lui-même que dès son enfance on l’employait à empêcher les petits oiseaux de manger le blé, qu’un petit sac sur l’épaule, une bouteille de bois en bandoulière, il montait du matin au soir la garde dans un champ, ayant toutes les peines du monde à franchir les haies et les barrières. Enfant, il avait défendu le blé contre les moineaux ; homme fait, il défendit les ruches et les abeilles contre les effrontés frelons qui les pillent et se gorgent du miel qu’ils n’ont pas fait.

Il haïssait les grandes villes et leurs corruptions, les manufactures et leurs tristesses, les armées permanentes, les casernes, les commerçans à la nouvelle mode, les pharisiens de toute couleur et l’aristocratie d’argent. Ce qu’il détestait encore plus, c’étaient « les mangeurs de taxes » qu’il traitait de vermine et de démons. Il accusait Pitt d’avoir attiré sur son pays, par ses énormes emprunts, « des maux que Satan lui-même n’eût pas imaginés. » Il définissait le crédit public, l’art de contracter des dettes qu’on ne paiera jamais, et il jugeait que dans un monde bien ordonné les peuples se croient tenus de tout payer comptant et de ne rien devoir à personne.

C’était sur ce sujet qu’il aimait le plus à raisonner et à déraisonner ; aucun autre n’échauffait davantage sa bile et son éloquence, et il ne se lassait pas d’expliquer aux nombreux lecteurs du Register l’histoire de la dette publique de l’Angleterre. La Révolution française, leur disait-il, ayant aboli tous les privilèges aristocratiques et les dîmes ecclésiastiques, le gouvernement anglais voulut empêcher que la réforme ne passât la Manche, et on résolut d’attaquer les Français, de menacer leur liberté récemment conquise, de les pousser à des actes de désespoir, et enfin de faire de la Révolution un tel épouvantail pour tous les peuples qu’on ne pût se représenter sous le nom de liberté autre chose qu’un affreux mélange de bassesses, d’abominations et de sang, et que les Anglais, dans l’enthousiasme de leur terreur, en vinssent à s’éprendre d’amour pour leur aristocratie et leur gouvernement. A cet effet, on dut s’assurer du concours de diverses nations étrangères, leur fournir de gras subsides et prendre leurs armées à sa solde : « Nous remportâmes ainsi, ajoutait-il, de nombreuses victoires sur les Français, et ces victoires étaient magnifiques. Ce fut une bonne affaire, elles