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de se reproduire périodiquement. Française ou italienne, bien coupable la presse qui les exciterait ou les grossirait !

Il faut bien le dire, du reste, au lieu de rapprocher les peuples en les aidant à se comprendre, la presse quotidienne semble trop souvent travailler à les séparer et à les irriter les uns contre les autres. Elle envenime les querelles, elle dénature les incidens, elle stimule les rivalités, elle pique les amours-propres. Elle est à l’affût des questions à soulever et se plaît à en rendre la solution malaisée. Si l’Europe est toujours sur le qui-vive, la faute en est, pour une bonne part, à la presse et à son auxiliaire, le télégraphe. Nulle part, cela n’est plus sensible que dans les relations de la France et de l’Italie.

Une chose rendait les froissemens entre les deux pays plus faciles et plus douloureux, précisément ce qui semblait le gage de leur amitié : les services rendus par l’un à l’autre. Il n’est pas besoin d’être grand psychologue pour savoir que la reconnaissance est un fardeau incommode. Elle pèse encore plus aux peuples qu’aux individus. Le bienfaiteur n’a qu’un moyen de se faire pardonner ses bienfaits, c’est de les oublier. La France s’est trop souvenue de Magenta et de Solferino, et, qui pis est, elle a trop souvent fait mine de s’en repentir. Le rôle de sauveur est de ceux qui demandent le plus de tact ; voyez-le au théâtre : n’y réussit pas qui veut. Il ne faut pas imiter ce personnage de comédie qui ne manque aucune occasion de rappeler que c’est à lui que son compagnon de voyage doit la vie. Puis, sans prétendre que la morale n’a rien à démêler avec la politique, on ne saurait appliquer aux nations les mêmes règles qu’aux individus. Un homme peut se sacrifier à autrui ; un peuple, non. Si vilaine chose que soit l’ingratitude, les peuples ont parfois le droit d’être ou de paraître ingrats. On pourrait dire que, pour eux, l’égoïsme est le premier des devoirs. C’est celui qu’ils pratiquent le plus facilement ; le mal est que leur égoïsme est souvent mal entendu.

Il y avait à peine quelques mois que les armes russes avaient jeté la Hongrie aux pieds des Habsbourg, lorsque le prince Schwarzenberg annonçait que l’Autriche étonnerait le monde par son ingratitude. « De tous les rois de Pologne, disait l’empereur Nicolas, au palais Lazienki, les deux plus fous, c’est Sobieski et moi, qui avons tous deux sauvé l’Autriche. » Le souvenir de Sobieski n’avait pas empêché Marie-Thérèse de signer le partage de la Pologne ; il est vrai qu’elle n’avait signé qu’en pleurant. Les Bulgares, émancipés par les Russes, n’ont pas attendu dix ans pour s’affranchir de la tutelle de leur grand frère du nord. Ils gardent, au-dessous des saintes images, le portrait du tsar libérateur, et ils ferment l’oreille aux conseils venus de Pétersbourg. La presse russe a beau répéter :