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forme, semble un castel féodal : il a quelque chose d’archaïque, de gothique ; l’autre, avec sa simplicité de structure et l’unité de son plan, avec la régularité symétrique de ses colonnes et de ses frontons, est un palais moderne. Tandis que le nouvel empire germanique, sorte de monstre hybride, n’est ni un État strictement unitaire, ni un État strictement fédéral, l’Italie, ne s’étant pas arrêtée à la fédération, a achevé son unité. Par là encore, elle ressemble plus à la France qu’à l’Allemagne, et par là, aussi, l’œuvre de Cavour est supérieure à celle de Bismarck.

Enfin, une troisième et non moindre différence entre l’unité allemande et l’unité italienne : l’Italie a conquis, à la fois, l’unité et la liberté ; c’est ce qui fait de sa résurrection nationale une sorte de prodige dans l’histoire. Victor-Emmanuel et Cavour ont été deux grands thaumaturges. On a dit que les peuples, dans leurs révolutions, faisaient rarement coup double : l’Italie y a réussi. L’Allemagne, aussi, visait simultanément l’unité et la liberté ; on ne saurait dire qu’elle ait touche le double but. La maison de Savoie et les Hohenzollern ne s’inspirent pas des mêmes principes : les maximes en honneur au Quirinal ne sont pas de mise sur la Sprée. Les sujets du roi Humbert seraient désagréablement surpris si le fils de Victor-Emmanuel leur rapportait d’Allemagne les recettes gouvernementales de Friedrichsruhe. M. Crispi, dans son dernier voyage à Berlin, n’a pas laissé que d’être quelque peu embarrassé de cette opposition de coutumes et de principes des deux monarchies. Il se rappelait, sans doute, de quelle manière son ami le chancelier qualifiait naguère, en plein Reichstag, la monarchie parlementaire italienne. « vérité en-deçà des Alpes, erreur au-delà, » a dit M. Crispi aux membres du Reichstag venus pour le complimenter ; et l’ancien mazzinien a expliqué, aux libéraux de Berlin, que, si les procédés de leur gouvernement étaient moins autoritaires, l’Allemagne serait moins puissante. Le fait est que, par les formes et l’esprit de leur gouvernement, par leur tempérament et leurs mœurs politiques, l’Italie et la Prusse sont deux États bien différens. On ne saurait dire que leur alliance s’appuie sur la similitude de leurs principes : loin de les rapprocher, les institutions semblaient faites pour les tenir éloignées.

Et cependant, je n’oserais dire que cette divergence de principes ait été un obstacle au rapprochement de la maison de Savoie avec les Hohenzollern. Par cela même que la jeune monarchie italienne n’est pas une monarchie de droit divin, elle devait être d’autant, plus tentée de rentrer dans le giron des vieilles dynasties, de lier partie avec les Habsbourg et les Hohenzollern. Ce qui l’attirait vers l’alliance austro-allemande, ce n’était pas seulement la naturelle ambition de