Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’algarade de M. Tisza dissuadant les Hongrois de se risquer chez nous durant notre Exposition. Infortuné M. Tisza ! il ne se doutait point que, en l’année de grâce 1889, les places de Pesth et de Vienne auraient à envier la tranquillité des rues de Paris[1].

Si la guerre doit sortir de la triple alliance, ce ne sera pas, croyons-nous, du fait de l’Autriche. Elle tempérerait plutôt les ardeurs de ses alliés. Nous sommes, naturellement, moins rassurés du côté de l’Allemagne, surtout depuis la mort du vieil empereur. Nous sentons là un inconnu. Le caractère de l’empereur Guillaume II est un nouveau facteur dans la politique de l’Europe ; faut-il l’inscrire au compte de la paix ? Nous ne savons. Le jeune empereur est intelligent, il a l’esprit cultivé, il est d’une activité merveilleuse ; c’est une figure ; mais on peut redouter sa nervosité, et ce qu’on sait de lui n’écarte pas toute crainte de coups de tête. Des fantaisies soudaines, comme celle du voyage à Strasbourg de compagnie avec le roi Humbert, sont faites pour donner à penser. On appréhende dans le jeune Hohenzollern un Charles XII à décisions brusques. Il est vrai qu’il a, près de lui, un conseiller d’expérience qui, dans son temps, a aimé les grands coups de dés, mais qui a trop gagné au jeu pour risquer sa fortune sur un point. Qui l’eût dit il y a quinze ans ? M. de Bismarck, viendrait à disparaître que la Bourse de Paris baisserait. Mais M. de Bismarck n’est pas seul ; il n’est pas immortel ; le vieux joueur peut même, à l’occasion, être tenté d’essayer encore une fois la chance.


IV

« Ne craignez rien, disent nos amis italiens ; l’alliance est purement défensive. Au besoin, nous sommes là pour retenir Berlin. Nos armemens ne visent que les perturbateurs de la paix. Le but de l’alliance est le maintien du statu quo ; rien de plus. Le secret des chancelleries est percé à jour : chacun connaît le casus fœderis ; les trois puissances se sont mutuellement garanti leur territoire. Qu’y a-t-il là d’inquiétant ? qu’y a-t-il d’offensant pour la France ? »

Il est si difficile, pour un peuple, de se mettre à la place d’un autre que nombre d’Italiens ne semblent pas apercevoir ce qu’a de douloureux, pour les cœurs français, cette garantie réciproque

  1. Peut-être le premier ministre hongrois avait-il simplement voulu donner une leçon au quai d’Orsay. Il se publiait à Paris, sous le nom d’Autriche slavo-roumaine, une feuille particulièrement hostile aux Magyars et au gouvernement hongrois. On la disait soutenue par une subvention de notre ministère des affaires étrangères. Après le discours de M. Tisza, l’Autriche slavo-roumaine a cessé sa publication, et M. Tisza a renoncé à ses sorties contre la France.