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italo-prussienne. Que représente, pour nous, cet engagement de l’Italie envers l’Allemagne ? Une seule chose : la garantie de l’Alsace-Lorraine au vainqueur de Sedan par nos alliés de Solferino. Ses mains déliées par nous, l’Italie les prête au conquérant de 1870 pour serrer les nœuds de Metz et de Strasbourg. La maison de Savoie, devenue par la grâce de Dieu et de la France, — Gesta Dei per Francos, — la souveraine de l’Italie, appose son sceau royal, la crois d’argent sur champ de gueules, au bas du traité qui a mutilé la France. Aux Alsaciens-Lorrains, dont des milliers gardent encore la médaille de la guerre d’Italie, le gouvernement italien est venu dire : « Lasciate ogni speranza ; si, pour vous tenir séparés de votre ancienne patrie, quatre millions de baïonnettes allemandes ne suffisent point, nous autres, Italiens, nous sommes là. » — Ce qu’est, pour un Français, la triple alliance, le voilà.

Et comme les peuples, de même que les individus, ne se font une juste idée des choses qu’en rapportant tout à eux-mêmes, je demanderai humblement. à nos amis d’Italie, de se mettre en notre lieu et place. Qu’eussent dit les Italiens les mieux disposés pour la France. si, en 1860, par exemple, Napoléon III avait conclu avec vienne et Berlin une alliance garantissant à l’Autriche Venise et Vérone ? Cela, aussi, eût pu être une ligue de la paix, fondée sur le respect des traités : l’Italie eût-elle trouvé le procédé amical ? M. de Cavour ou M. Ricasoli auraient-ils admis que, en prenant un pareil engagement, la France ne donnait, à sa voisine du sud-est, aucune marque de mauvais vouloir ? Et cependant, en quoi la situation eût-elle différé ? Comment l’Italie eût-elle eu le droit de se froisser, si la France doit se montrer satisfaite ? L’Alsace-Lorraine n’a pas plus de goût pour la domination du Preusse que la Vénétie n’en avait pour celle du Tedesco. Il y a, il est vrai, une différence, c’est que l’Autriche ne prétendait pas germaniser ses sujets italiens, tandis que les enfans de Metz, de tout temps pays de langue française, sont contraints d’apprendre à épeler en allemand. Le droit des peuples, sur lequel l’Italie nouvelle se glorifie d’avoir été fondée, a été publiquement foulé aux pieds entre les Vosges et le Rhin. Les habitans ont protesté contre la violence de l’annexion ; ils ont demandé à être consultés ; l’Italie le sait, et elle passe outre. File donne sa garantie aux casques à pointe. Tel est le lait. Encore une fois, pour un Français, l’entente italo-allemande n’est que cela. L’Autriche-Hongrie agit, il est vrai, comme l’Italie ; mais l’Autriche n’a pas, que je sache, la prétention d’avoir pour fondement le droit des peuples ; elle n’a jamais été la nation sœur de la France ; et, si elle ne tient plus garnison à Milan et à Bologne, si ses archiducs ne règnent plus à Florence et à Modène, l’Autriche sait à qui elle le doit.