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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/308

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Alexandre III. Il a plus de droit à ce titre que son grand-oncle Alexandre Ier, et il peut en tirer plus d’honneur. Pour le mériter, il lui a fallu dominer de naturels ressentimens, et, ce qui coûte le plus au maître incontesté de 100 millions de sujets, il lui a fallu se résigner, à la face du monde, à d’apparentes défaites. Mieux que l’Auguste de Corneille, il peut dire qu’il est maître de lui, comme de son vaste empire. Les échecs de sa diplomatie en Bulgarie, l’orgueil impérial lui conseillait de les couvrir par un appel à la force. Alexandre Alexandrovitch a résisté aux excitations de son peuple. Sa conscience d’autocrate et de chrétien répugne à tirer l’épée. Il a fait la guerre et il en connaît l’horreur. Comme le jeune Louis XIV, après la journée des Dunes, il a visité les champs de bataille, il en a contemplé le spectacle et senti l’odeur. Le souvenir des champs de Bulgarie ne l’a point quitté. Heureux les peuples dont le souverain a la mémoire moins courte que le jeune Louis XIV, et honneur à l’autocrate qui ose être un homme ; mais n’y a-t-il pas quelque chose de mélancolique à songer que, cent ans après 1789, l’Occident, affaibli par ses divisions, ne doit la paix qu’aux instincts pacifiques d’un autocrate ?

Les Italiens ont, en général, peu de sympathies pour la Russie. Ils sont trop voisins des Slaves pour ne pas s’en défier. Comme puissance continentale, l’Italie confine aux Slaves de l’Autriche, sur les Alpes et l’Adriatique ; à Goritz, à Trieste, en Istrie, en Dalmatie, les Italiens de l’empire austro-hongrois sont en lutte avec des Slaves ; on comprend que l’Italie soit en garde contre le spectre du panslavisme. Comme puissance méditerranéenne, elle se soucie peu de voir les Russes atteindre les bords de la Méditerranée. Elle trouve qu’il y a déjà assez de concurrens sur les deux bassins du grand lac. Elle se dit que, le jour où les Cosaques viendront à baigner leurs chevaux dans les flots de la mer Egée ou du golfe d’Alexandrette, le massif empire du Nord pèsera de ses 100 millions d’habitans sur les rivages du Levant. Tout cela peut être vrai ; mais, ethnographiques ou géographiques, les défiances que soulève contre l’immense empire son immensité même, il faut bien reconnaître que l’empereur Alexandre III n’a rien fait pour les exciter. Sa politique extérieure s’est distinguée, durant les dernières années, par sa modération et sa correction. Si la diplomatie impériale a récemment recouvré quelque ascendant sur plusieurs États d’Orient, c’est en les rassurant sur ses intentions. Les organes de la triple alliance affectent de voir là le germe de complications nouvelles. Ils n’admettent point que l’influence de l’Autriche à Belgrade, à Sophia ou à Bucharest, puisse diminuer sans que les chances de guerre en soient accrues. La paix de l’Europe dépend ainsi des oscillations des petites cours balkaniques. Les luttes