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d’influence sur le Balkan sont inévitables ; la Russie a bien su se résigner à des mécomptes, pourquoi l’Autriche et l’Allemagne ne feraient-elles pas comme la Russie ? Le meilleur moyen d’assurer la paix de l’Europe par la paix de l’Orient, c’est de respecter l’indépendance des États indigènes. Ils veulent être eux-mêmes ; l’Occident n’a qu’à les y encourager.


V

Depuis que M. Crispi en a la direction, la politique italienne a paru prendre une allure plus décidée, d’aucuns disent plus provocante. Au temps récent encore où M. Depretis était le chef du cabinet italien, la présence de l’Italie dans la ligue de la paix inspirait moins de défiance. On connaissait l’humeur pacifique du vieux goutteux de Stradella ; on savait que, au dehors comme au dedans, il aimait mieux dénouer que couper. Sous le ministère de ce Cunctator piémontais, on était certain que l’Italie n’irait pas courir les aventures. Personne n’eût cru que la mort de M. Depretis pût être un événement pour l’Europe. Comme il arrive souvent, on ne s’en est aperçu qu’après coup. Les Italiens, qui ont de l’amour-propre, en peuvent être flattés : la recrudescence des craintes de guerre a coïncidé avec l’arrivée de M. Crispi à la présidence du conseil. M. Depretis rassurait, M. Crispi a inquiété. L’un était Piémontais, l’autre est Sicilien. Toute la différence de leurs procédés tient peut-être à la dissemblance de leurs caractères. Chez M. Depretis il y avait, disait-on, du renard ; chez M. Crispi il y a plutôt du lion. C’est un homme d’une nature plus riche ; l’âge n’a point amorti sa fougue. Il est de ceux qui semblent avoir le privilège de demeurer toujours jeunes ; impétueux, exubérant, dominateur, ce septuagénaire a une volonté de fer. C’est un politique de race ; peut-être a-t-il quelques-unes des parties du grand homme d’état ; le malheur est que, avant la réussite, bien habile qui distingue un Alberoni d’un Richelieu.

Si M. Crispi a accentué l’alliance, c’est beaucoup par tempérament, par vivacité naturelle, par besoin de déployer sa force ; c’est peut-être aussi par calcul, pour faire du bruit, pour se faire va loir, pour flatter l’amour-propre national. Il semble aimer à jouer à la grande politique ; — c’est un goût qui vient aisément aux anciens démocrates parvenus à la direction des affaires. — et, comme il n’est plus jeune, il est pressé. Il veut faire grand, ou, ce qui revient au même, en avoir l’air. M. Gladstone, à son passage à Rome, en février dernier, a pu lui donner, dans la salle d’attente de la