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gare des Thermos, le conseil de se défier de la politique d’apparat ; c’est un avis que le premier italien aura peine à suivre. Il a trouvé la triple alliance faite ; il a voulu la faire sonner. Il n’avait pas attendu, nous l’avons déjà rappelé, la signature d’un traité outre Rome et Berlin pour lier connaissance avec le prince de Bismarck. Il savait que « l’amitié d’un grand homme est un bienfait des dieux. » Comme l’Italie est l’alliée de l’Allemagne, M. Crispi est l’ami de M. de Bismarck. Bismarck e Crispi était une des inscriptions lapidaires qui réjouissaient les yeux de l’empereur Guillaume dans son voyage au-delà des monts. Une partie de l’ascendant de M. Crispi vient de cette auguste amitié. En France, on est porté à croire que le chancelier a des valets, non des amis ; les Italiens n’envisagent pas la chose du même œil ; là où les Français ne veulent voir qu’une honte, ils voient un honneur.

M. Crispi n’est pas seulement l’ami de M. de Bismarck ; il est, à certains égards, son élève ou son émule. Il ne craint pas de lui emprunter ses procédés de gouvernement, autant du moins que le permet la différence des institutions. Comme M. de Bismarck, M. Crispi se sent de force à porter tout le poids du gouvernement. Le ministère, c’est lui ; il est l’Atlas sur qui repose tout. A son activité il faut deux ou trois portefeuilles à la fois ; il a dans une main les Affaires étrangères, dans l’autre l’Intérieur ; et, au parlement, il jongle avec la diplomatie et l’administration, répondant par la politique étrangère aux interpellations sur sa politique intérieure. Il a appris, de son ami le chancelier, l’art de jouer de la guerre et de la paix pour faire marcher une chambre. La triple alliance, les rumeurs belliqueuses lui servent à enlever un vote. Pour déplacer trente voix au Reichstag, M. de Bismarck ne craint pas de faire trembler l’Europe ; M. Crispi est, lui aussi, passé maître dans l’art de manier les parlemens et la presse. Il ne croit pas inutile de tenir les peuples en haleine. Les craintes de guerre ont cela de bon qu’elles fortifient l’autorité d’un ministre. Attaquer le gouvernement à la veille d’une guerre générale, n’est-ce pas pécher contre le patriotisme ? Aussi le chef du cabinet ne redoute-t-il pas les incidens avec l’étranger, et dans sa bouche, selon la remarque d’un Italien, l’étranger, lo straniero, signifie la France ; — l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche sont « nos alliées. »

M. Crispi a le verbe haut, il aime à parler fort, comme dans l’affaire de Massaoua ; c’est dans son tempérament de Sicilien : puis il sait que cela plaît aux peuples. Rien ne les flatte comme un grain d’insolence vis-à-vis de l’étranger. Josué Carducci, un poète, — et l’un des deux ou trois plus grands du continent, — a été touché par les notes à M. Goblet. L’auteur des Odes barbares a