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THAÏS
CONTE PHILOSOPHIQUE

II.[1]
LE PAPYRUS.

Thaïs était née de parens libres et pauvres, adonnés à l’idolâtrie. Du temps qu’elle était petite, son père gouvernait, à Alexandrie, proche la porte de la Lune, un cabaret que fréquentaient les matelots. Certains souvenirs vifs et détachés lui restaient de sa première enfance. Elle revoyait son père assis à l’angle du foyer, les jambes croisées, grand, redoutable et tranquille, tel qu’un de ces vieux Pharaons que célèbrent les complaintes chantées par les aveugles dans les carrefours. Elle revoyait aussi sa maigre et triste mère, errant comme un chat affamé dans la maison qu’elle emplissait des éclats de sa voix aigre et des lueurs de ses yeux de phosphore. On contait dans le faubourg qu’elle était magicienne et qu’elle se changeait en chouette, la nuit, pour rejoindre ses amans. On mentait : Thaïs savait bien, pour l’avoir souvent épiée, que sa mère ne se livrait point aux arts magiques, mais que, dévorée d’avarice, elle comptait toute la nuit le gain de la journée. Ce père inerte

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.