où les chrétiens d’une humble condition avaient coutume de se réunir et là, rassemblant les misérables étendus à l’ombre des vieux murs, il leur annonçait l’affranchissement des esclaves et le jour prochain de la justice.
— Dans le royaume de Dieu, disait-il, les esclaves boiront des vins frais et mangeront des fruits délicieux, tandis que les riches, couchés à leurs pieds comme des chiens, dévoreront les miettes de leur table.
Ces propos ne restèrent point secrets ; ils furent publiés dans le faubourg et les maîtres craignirent qu’Ahmès n’excitât les esclaves à la révolte. Le cabaretier en ressentit une rancune tenace qu’il dissimula soigneusement.
Un jour, une salière d’argent, réservée à la nappe des dieux, disparut du cabaret. Ahmès fut accusé de l’avoir volée, en haine de son maître et des dieux de l’Empire. L’accusation était sans preuves et l’esclave la repoussait de toutes ses forces. Il n’en fut pas moins traîné devant le tribunal et, comme il passait pour un mauvais serviteur, le juge le condamna au dernier supplice :
— Tes mains, lui dit-il, dont tu n’as pas su faire un bon usage, seront clouées au poteau.
Ahmès écouta paisiblement cet arrêt, salua le juge avec beaucoup de respect et fut conduit à la prison publique. Durant les trois jours qu’il y resta, il ne cessa de prêcher l’Évangile aux prisonniers et l’on a conté depuis que des criminels et le geôlier lui-même, touchés par ses paroles, avaient cru en Jésus crucifié.
On le conduisit à ce carrefour qu’une nuit, moins de deux ans auparavant, il avait traversé avec allégresse, portant dans son manteau blanc la petite Thaïs, la fille de son âme, sa fleur bien-aimée. Attaché sur la croix, les mains clouées, il ne poussa pas une plainte ; seulement, il soupira à plusieurs reprises :
— J’ai soif !
Son supplice dura trois jours et trois nuits. On n’aurait pas cru la chair humaine capable d’endurer une si longue torture. Plusieurs fois on pensa qu’il était mort ; les mouches dévoraient la cire de ses paupières ; mais tout à coup il rouvrait ses yeux sanglans. Le matin du quatrième jour, il chanta d’une voix plus pure que la voix des enfans :
— Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu là d’où tu viens ?
Puis il sourit et dit :
— Les voici, les anges du bon Seigneur. Ils m’apportent du vin et des fruits ! Qu’il est frais, le battement de leurs ailes !
Et il expira.
Son visage conservait dans la mort l’expression de l’extase bienheureuse.