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génie national personnifié dans ses représentans les plus glorieux et pour donner une sanction officielle à cette prise de possession par l’Institut du local qui lui était livré, tous les membres du Directoire en grand costume, tous les ministres, accompagnés du corps diplomatique, étaient venus assister à la séance d’installation. Une estampe de l’époque nous a conservé la physionomie de cette scène où, malgré les habits d’une magnificence théâtrale et les chapeaux plus empanachés que de raison des directeurs, malgré ces contrefaçons de l’antique, à la fois fastueuses et maigres, que David avait mises à la mode jusque dans la forme des sièges et l’ajustement des draperies de tenture, tout respirait une grandeur conforme au caractère moral de l’assemblée et aux idées qu’elle représentait.

La première séance publique de l’Institut ne dura pas moins de quatre heures. Outre le discours de Daunou, dont nous avons rapporté quelques passages et ceux de Letourneur, président du Directoire, de Dussaulx, président de l’Institut, on y entendit la lecture de neuf mémoires sur des questions spéciales, rédigés par des délégués des deux premières classes, un à-propos en vers, la Grande Famille réunie par Collin d’Harleville, une autre pièce de vers par Andrieux et une ode de Lebrun sur l’Enthousiasme. Enfin, Vauquelin termina la séance par des expériences « sur les détonations du muriate suroxygéné de potasse, lorsqu’il subit une pression ou un choc, » sorte de commentaire en action d’un travail sur ce sujet que Fourcroy venait de lire.

Dans tout cela, on le voit, la part de la troisième classe avait été bien restreinte, absolument nulle même pour les quatre sections réservées dans cette classe aux artistes, puisque aucun de ceux-ci n’avait pris la parole. Les séances publiques qui se succédèrent de trimestre en trimestre dans le cours de la même année et jusqu’à la fin de l’année suivante n’apportèrent aucun changement à cet état de choses. Chaque fois le programme demeura aussi chargé quant au nombre des communications scientifiques, philosophiques ou littéraires, aussi vide d’enseignemens concernant l’art proprement dit. Rien de plus explicable sans doute, étant donnée la répugnance en général des artistes à se servir, pour traduire leur pensée, d’autres intermédiaires que leurs instrumens ordinaires de travail ; mais, en réalité, rien de plus préjudiciable à certains intérêts intellectuels du public. Quelles qu’eussent pu être les imperfections de la forme littéraire, n’aurait-on pas été, par exemple, plus heureux d’entendre Grétry parler de son art que de se sentir initié par les dissertations des savans à des secrets de physiologie chimique ou médicale divulgués au moins inopportunément dans un pareil milieu[1] ?

  1. Parmi les sujets le plus intrépidement traités à cette époque dans les séances publiques par les orateurs de l’Institut, il suffira de citer une étude descriptive et analytique de Fourcroy en collaboration avec Vauquelin sur les calculs dans la vessie, et une autre par le même savant, intitulée : Comparaison de l’urine humaine et de celle des animaux herbivores, particulièrement du cheval. En rendant compte de la séance où ce dernier travail avait été lu, le Moniteur avoue que « le sujet n’a pas paru heureusement choisi.