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La longueur démesurée des séances publiques d’une part, de l’autre la nature de bon nombre des travaux dont il était donné communication ne tardèrent pas à refroidir le zèle, sinon des auteurs de ces travaux eux-mêmes, au moins de ceux qui étaient appelés à les connaître. On commençait au dehors à se désintéresser de ce qui avait été d’abord accueilli avec un empressement unanime : il était temps de prendre des mesures, et c’est ce qui fut fait, pour que l’opinion déjà sur la pente de l’indifférence ne glissât pas jusqu’au détachement formel.

Cependant un événement politique renouvelé du régime de la Terreur, le coup d’état de fructidor 1707, allait, en frappant, entre autres victimes, cinq membres de l’Institut, porter une cruelle atteinte à l’indépendance de ce grand corps si hautement proclamée, l’année précédente, par ceux-là mêmes qui la sacrifiaient maintenant. Bien plus : parmi les prescripteurs, il s’en trouvait un, La Réveillère-Lepeaux, qui appartenait à l’Institut ; de sorte qu’en mettant hors la loi ses collègues du Directoire, Carnot et Barthélémy, il supprimait aussi en eux deux de ses confrères, comme il se débarrassait sans plus de façon de trois autres, en prononçant la déchéance de Pastoret, de l’abbé Sicard et de Fontanes. Ces deux derniers faisaient partie de la classe de la littérature et des beaux-arts, et l’on ne devine guère les prétextes que les auteurs du coup d’état purent invoquer pour traiter en conspirateurs le vénérable instituteur des sourds-muets et un poète d’inclinations aussi peu inquiétantes que le chantre du verger. Quoi qu’il en soit, Fontanes et l’abbé Sicard ayant été rayés de la liste des membres de la troisième classe, on procéda presque aussitôt à leur remplacement, tandis que dans la première classe, le général Bonaparte prenait possession du fauteuil d’où Carnot venait d’être chassé[1], et que

  1. On a plus d’une fois reproché à Napoléon d’avoir, pour entrer à l’Institut, profité de l’expulsion d’un homme qui l’avait aidé au début de sa carrière. François Arago a, plus sévèrement que personne, condamné cet oubli des obligations contractées : a Est-il aucune considération au monde, dit-il dans son Éloge de Carnot, qui doive faire accepter la dépouille académique d’un savant victime de la rage des partis, et cela surtout lorsqu’on se nomme le général Bonaparte ? Je me suis souvent abandonné à un juste sentiment d’orgueil en voyant les admirables proclamations de l’armée d’Orient signées : Le membre de l’Institut, général en chef ; mais un serrement de cœur suivait ce premier mouvement lorsqu’il me revenait à la pensée que le membre de l’Institut se paraît d’un titre qui avait été enlevé à son premier protecteur et à son ami.