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de 1797, Guérin, le futur peintre de Clylemnestre et de Didon, dut se résigner à ajourner indéfiniment son départ pour l’Italie et à remplir ses obligations de pensionnaire on exécutant à Paris les tableaux qui, dans d’autres circonstances, eussent constitué ses envois de Rome. Bien lui en prit d’ailleurs, puisqu’il dut à l’un de ces envois sur place le plus éclatant succès que, dans tout le cours de sa carrière, il lui ait été donné d’obtenir. L’apparition au Salon de 1799 de son Marcus Sextus, aujourd’hui au Musée du Louvre et qu’il peignit lorsqu’il n’était encore âgé que de vingt-cinq ans, produisit dans le public une sensation telle, elle procura du jour au lendemain au nom du jeune peintre une popularité si grande qu’on trouverait difficilement, même dans l’histoire des artistes les plus promptement arrivés à la gloire, l’équivalent d’un triomphe aussi universel et aussi rapide.

Peut-être, quelle qu’en soit au fond la très sérieuse valeur, le tableau de Guérin ne semble-t-il, à l’heure présente, justifier qu’incomplètement les applaudissemens enthousiastes qui l’ont autrefois accueilli ; peut-être les allusions qu’impliquait cette scène antique au retour récent des émigrés français dans leur pays n’ont-elles plus pour nous toute l’éloquence qu’on leur prêtait à la fin du XVIIIe siècle ? Enfin, si le fait très exceptionnel d’un talent formé à une autre école que celle de David[1] put, au moment où il se produisit, ajouter à l’étonnement du public et l’intéresser d’autant plus à la cause de ce talent, une pareille curiosité historique ne saurait à beaucoup près exercer la même influence sur l’opinion de ceux qui, en face de l’œuvre de Guérin, cherchent, à plus de quatre-vingts ans d’intervalle, à s’en expliquer le succès. Quoi qu’il en soit, Guérin eut le rare mérite de ne se laisser ni étourdir par le bruit fait autour de son nom, ni détourner des efforts qu’il s’était promis de poursuivre par l’orgueil d’avoir du premier coup si pleinement réussi. Le peintre acclamé de tous, depuis les membres de l’Institut eux-mêmes jusqu’aux élèves des ateliers, l’auteur de ce tableau publiquement couronné dès les premiers jours de l’exposition, n’eut garde de se croire pour cela passé maître. Aussitôt que les circonstances politiques le permirent, il s’empressa de réclamer le privilège que lui conférait son titre de « Grand prix » pour aller en Italie compléter ses études, comme si l’épreuve dont il venait de sortir vainqueur, et vainqueur avec tant d’éclat, n’eut été pour lui qu’un modeste début ou un simple encouragement à mieux faire[2].

  1. Guérin était élève de Reguault, dans l’atelier de qui il était entré en 1791.
  2. Malheureusement, la santé de Guérin, gravement compromise dès les premiers mois de son séjour à Rome, le força de revenir en France bien avant le terme de sa pension.