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immédiate d’une mesure qui devait « faire de Paris le muséum universel de la France et de l’Europe ; » la pétition des artistes membres de l’Institut et de leurs confrères du dehors demeura sans réponse ; on s’arrangea pour qu’une contre-pétition, tendant au transport dans notre pays des œuvres en cause, pût au besoin être opposée aux vœux des réclamans, et des commissaires nommés sous sa seule responsabilité par le Directoire reçurent l’ordre de procéder en Italie aussi rapidement que possible à l’emballage et à l’expédition des objets destinés au musée du Louvre ou aux grands établissemens scientifiques de Paris : après quoi l’on s’occupa des préparatifs de la fête dont nous avons parlé. On comptait, nous l’avons dit aussi, sur la grandeur du spectacle pour enflammer l’orgueil patriotique de la foule et pour subjuguer de haute lutte l’imagination de ceux-là mêmes qui avaient d’abord résisté au nom du droit et de la raison.

Le double résultat que l’on se proposait d’atteindre fut effectivement obtenu. Ce fut avec un enthousiasme unanime que les Parisiens de toutes classes virent passer devant eux la longue série de ces incomparables dépouilles, et les artistes à leur tour, — même ceux qui s’étaient montrés jusqu’alors les plus récalcitrans, — n’eurent plus en face de ce qui leur était livré que le sentiment et, en quelque sorte, l’enivrement de la possession. Ainsi s’explique l’apparent démenti résultant de la présence à cette fête de l’Institut tout entier, c’est-à-dire y compris les membres de la troisième classe qui, avec Vien et David, avaient protesté d’avance contre le fait maintenant accompli. Tous les hommes d’ailleurs appartenant, à un titre quelconque, au monde des sciences, des lettres ou des arts, avaient été invités à prendre place dans le cortège qui devait parcourir d’un bout à l’autre les boulevards pour se rendre au Champ de Mars, où l’attendraient les ministres et les membres de l’Institut ; tous, depuis les hauts fonctionnaires de l’enseignement et les administrateurs des musées jusqu’aux étudians du quartier latin, jusqu’aux élèves de l’Ecole des beaux-arts et du Conservatoire, avaient été appelés à l’honneur de participer, non pas à ce que l’on appelait avec autant de niaiserie que d’emphase « l’installation sur une terre libre des monumens arrachés à l’asservissement[1], » mais aux hommages que commandaient tant de glorieux chefs-d’œuvre.

  1. Dans un discours prononcé au Champ de Mars à l’occasion de la fête dont il s’agit, un des commissaires envoyés en Italie, Thouin, paraphrasait cette sottise en termes plus ridicules encore. « Remercions tous, » s’écriait-il au pied d’une statue de la liberté érigée pour la circonstance, « cette liberté vengeresse des arts longtemps humiliés qui a enfin brisé les chaînes de la renommée de tant de morts fameux. »