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instructive que les artistes allaient chercher en Italie…. C’est avec vérité qu’on peut dire que le pays fait partie du muséum de Rome. Que dis-je ? Le pays est lui-même le muséum. » L’énergique protestation de Quatremère de Quincy se terminait par ces mots : « Si l’exemple une fois donné de la violation du dépôt commun vient à être suivi par toutes les puissances, voisines ou éloignées, que les hasards de la guerre ou les révolutions politiques rendraient maîtresses de l’Italie ; si les richesses de l’art et de la science ne sont plus qu’un butin dont un conquérant pourra faire sa proie ; .. de quel danger, je vous le demande, ne seraient pas pour la science et pour l’art les conséquences de cette manière de procéder nouvelle ? »

Les journalistes de leur côté, ceux du moins qui n’étaient pas aux gages du Directoire, — soutenaient la même thèse et, quelquefois, dans un langage plus irrité encore. Un d’entre eux, rédacteur du Journal littéraire, allait jusqu’à dire : « Quel autre qu’un barbare peut applaudir à la spoliation qu’on veut accomplir ? » Enfin, huit membres de la troisième classe de l’Institut, — les peintres Vien, David et Vincent, les sculpteurs Pajou, Roland, Dejoux, Julien, et l’architecte Dufourny, — signaient, avec quarante-trois autres artistes, une pétition au Directoire exécutif[1], dans laquelle ils conjuraient le Directoire de « juger avec maturité cette importante question de savoir s’il serait utile à la France, s’il serait avantageux aux arts et aux artistes en général de déplacer de Rome les monumens de l’antiquité et les chefs-d’œuvre de peinture et de sculpture qui composent les galeries et les musées de cette capitale des arts. » Et, pressentant sans doute que la question serait résolue par le Directoire dans le sens du « déplacement », les pétitionnaires demandaient qu’au moins, avant de rien enlever, « on chargeât de faire un rapport général sur cet objet une commission formée d’un certain nombre d’artistes et de gens de lettres choisis par l’Institut national, en partie dans son sein, en partie au dehors. »

Les choses n’en suivirent pas moins leur cours, comme le général Bonaparte et le Directoire l’avaient originairement entendu. On réfuta tant bien que mal les objections de Quatremère et de ses adhérens dans des articles de journaux concluant, suivant l’usage, « au nom de l’immense majorité du public, » à l’exécution

  1. Parmi les noms des signataires de la pétition, nous relevons celui de Girodet, Percier, Fontaine, Le Barbier, Lethière et Meynier, qui, à cette époque, n’appartenaient pas à l’Institut, mais qui devaient, dans le cours des années suivantes, être appelé à y siéger. On lit également au bas de cette pétition les noms du célèbre dessinateur-graveur, Moreau jeune, du paysagiste valenciennes et de Denon, devenu un peu plus tard, directeur des Musées impériaux.