paradoxe de la nature, le plus grec et le plus purement artiste des poètes anglais était fils d’un palefrenier et naquit au cœur de Londres, dans Finsbury. Il est vrai qu’il connut à peine son père, l’ayant perdu de bonne heure. L’influence de sa mère, au contraire, fut considérable sur lui : c’était une femme vive, adroite et passionnée pour le plaisir : elle avait, outre John, trois fils et une fille. Mais John était son préféré. Elle lui passait tous ses caprices et s’amusait de toutes ses fantaisies. Or l’enfant était, dès lors, d’un caractère violent et indomptable : si l’on en croit Haydon, il s’empara un jour, à l’âge de cinq ans, d’une épée, et, se campant devant la porte de la chambre de sa mère, jura qu’elle n’en sortirait que quand il le voudrait bien ; elle fut obligée d’appeler à son secours des voisins, qui la délivrèrent de son fils. Ayant perdu son mari en 1804, elle se remaria, pour son malheur, avec un certain Rawlings, dont elle se sépara bientôt pour aller vivre à Edmonton, chez sa mère. C’est entre cette maison d’Edmonton et une école, située à Enfield, au nord de Londres, que s’écoulèrent les meilleures années d’enfance de Keats, de 1806 à 1810. Les souvenirs de ses camarades d’école s’accordent à son sujet : c’était un écolier distrait et peu appliqué, mais d’une nature généreuse et passionnée. Tous l’admiraient pour sa noblesse, son courage, et la beauté de sa personne. Batailleur et excellant à tous les exercices du corps, il n’en était que plus considéré, comme il sied entre écoliers anglais. Il avait le rire très près de larmes et le pardon très près de la colère.
Vers la fin de ce séjour à Enfield, une révolution se fit tout à coup en lui : il se prit d’un goût violent pour la lecture. Comme il ne faisait rien à moitié, il dévora tout ce qui lui tomba sous la main, notamment des livres de mythologie, et le Dictionnaire classique de Lemprière, où le futur auteur d’Endymion puisa ses premières notions sur la Grèce. En 1810, sa mère étant morte, il passa sous l’autorité de deux tuteurs, qui le retirèrent de l’école d’Enfield et le mirent en apprentissage chez un médecin d’Edmonton. Il avait quinze ans. De ces années de sa vie, nous ne savons presque rien, sinon qu’en un jour mémorable pour l’histoire de son génie poétique, un de ses camarades lui lut l’Épithalame de Spenser et lui prêta la Reine des fées. Ce fut une révélation subite de son talent. Il avait trouvé sa voie.
Aucun poète n’a suscité plus de vocations que Spenser : c’est, par excellence, le poète des imaginations adolescentes. La pauvreté du fond dans la Reine des fées, l’absence d’intérêt humain dans ce long tissu d’allégories, la faiblesse même du plan et le manque d’unité dans l’œuvre, rien de tout cela n’est en effet pour choquer un enfant de seize ans. L’imagination de Keats se perdit avec