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ignorante des accens qui vont au cœur, parce qu’ils en viennent. La jeune artiste les connaîtra un jour ; avec autant de grâce elle aura plus de passion ; plus sûre des notes, elle pourra se soucier davantage des paroles, qui font aujourd’hui plus de la moitié du chant. Elle saura mettre dans son rôle plus d’effusion et de chaleur, et sa voix apprendra à son tour, comme ses yeux, comme ses gestes, les caresses et les sourires.

Mme Marchesi est décidément la Mme de Maintenon musicale de notre temps : une autre de ses élèves, Mme Melba, a chanté Ophélie. Mme Melba n’a pas plus de flamme que Mlle Eames : elle a parfois plus de sécheresse, et dans les trois premiers actes d’Hamlet elle avait un peu déçu notre attente. Elle l’a comblée au quatrième acte par la beauté, l’étendue, l’homogénéité, le moelleux d’une voix que ne gâte pas l’acuité métallique de certaines voix transocéaniennes, par une virtuosité merveilleuse et pourtant naturelle, sans effort ni grimace ; enfin, par l’interprétation poétique et touchante de certaines phrases comme celle-ci : Hamlet est mon époux et je suis Ophélie, qui réclament quelque chose de plus que le mécanisme, et quelque chose de mieux.

Maintenant, « je vais toucher une étrange matière, » au moins délicate et susceptible. L’Italie, qui ne nous épargne guère de bien autres mépris que le mépris esthétique, prend très mal la moindre de nos critiques d’art. Une petite querelle de gazettes musicales l’a récemment prouvé. Un de nos compatriotes et de nos confrères avait discrètement insinué que certaines œuvres de certaine école italienne avaient vieilli. Inde iraæ ! Hélas ! elles ont tellement vieilli, qu’elles pourraient bien être mortes. Mais leur décès empêche-t-il l’immortalité de certaines autres, et sur les ruines d’I Puritani, de Maria di Rohan et de Linda di Chamonix, la Servante maîtresse, le Mariage secret et le Barbier de Séville ont-ils cessé de fleurir ? Y a-t-il là de quoi se fâcher, et nous, d’ailleurs, montons-nous ainsi la garde devant nos momies, devant la Fanchonette ou le Premier jour de bonheur ?

Un homme s’est rencontré ; un audacieux, éditeur de Milan, ami riche et généreux de la France, qui a voulu faire, à Paris, une exposition de musique italienne. Il l’a faite hospitalière, gratuite même, je crois, malgré les apparences exorbitantes d’un tarif plus affiché qu’appliqué. C’est bien le moins qu’on remercie M. Sonzogno de cette fantaisie ; ruineuse pour tout autre, elle aura été coûteuse pour lui.

Dans je ne sais plus quel vaudeville, une jeune ouvrière répondait à un monsieur qui lui offrait une broche : « Je la refuse comme broche, mais je l’accepte comme sentiment. » — C’est ainsi que nous avons accepté la saison italienne. I Puritani, Linda, la Sonnambula, merci pour le sentiment, mais on ne porte plus de ces broches-là. Et, pourtant, on les a portées jadis ; des connaisseurs qui valaient bien ceux que nous