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l’avouent, de reconnaître, l’ordre nouveau en Bulgarie, le prince Ferdinand de Cobourg, dont elle s’est fait un allié ; mais elle ne peut risquer cet acte de diplomatie sans s’être entendue avec les autres puissances, sans s’exposer à mettre en lambeaux le traité de Berlin, sans s’affaiblir elle-même. Quand s’entendra-t-on pour reconnaître définitivement le prince Ferdinand de Cobourg à Sofia ? Il faudrait demander cela au cabinet de Saint-Pétersbourg, qui ne paraît pas prêt à répondre et qu’on n’est point disposé sans doute à défier. De sorte que l’Autriche ne peut qu’attendre provisoirement, appuyée à l’Allemagne, augmentant ses arméniens pour lesquels les délégations ne refusent aucun crédit, défendant pied à pied, sans bruit, son influence dans les Balkans et surveillant les événemens. C’est sa politique extérieure qui ne peut avoir rien de décisif. Il s’est produit pendant ce temps dans sa politique intérieure un incident qui ne laisse pas d’être significatif, qui pourrait même avoir son importance dans l’ensemble des affaires de l’empire : c’est l’élection d’une diète nouvelle en Bohême.

Des élections se sont faites en même temps pour le renouvellement des diètes provinciales en Galicie, en Dalmatie, dans l’Istrie, dans le Tyrol, dans la Carniole comme en Bohême, dans toutes ces régions où l’esprit de nationalité est toujours vivace. Celles de la Bohême ont un intérêt particulier. Elles ont eu surtout cela de caractéristique et de curieux que la lutte s’est engagée entre deux fractions du parti national, entre vieux Tchèques et jeunes Tchèques, également ardens à la revendication des droits de la Bohême, mais divisés dans leur politique, dans leurs moyens d’action, dans leurs idées, dans leurs alliances.

Depuis bien des années déjà, — il y a de cela près d’un demi-siècle, — les Tchèques sont à l’œuvre sous la direction du docteur Rieger, qui a été le guide le plus actif, le plus accrédité de l’agitation nationale. Ils ont soutenu bien des combats dans l’intérêt de l’autonomie, des droits, des écoles, de la langue de leur pays, qu’ils n’ont cessé de défendre contre les Allemands, longtemps prépondérans. Ils ont fini par rester à peu près maîtres de la Bohême, même à l’exclusion des Allemands, par reconquérir bien des garanties, bien des privilèges, — et ils ont réussi, surtout depuis l’avènement au pouvoir du comte Taaffe, qui s’est proposé précisément de réconcilier les races multiples de l’empire en donnant satisfaction aux vœux les plus légitimes des diverses nationalités ; mais si M. Rieger et ses amis ont réussi, — au moins jusqu’à un certain point, — dans leur œuvre, ils ne l’ont pu qu’en faisant à leur tour des concessions, en se prêtant aux alliances, aux transactions, aux combinaisons de circonstances qui pouvaient les servir. Ils n’ont pas craint de s’allier à l’aristocratie terrienne, qui est un peu féodale et cléricale. Ils n’ont point hésité à soutenir de leur vote au Reichsrath de Vienne le ministère du comte Taaffe, plus favorable que tout autre à leur cause. M. Riegier et ses