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nées. Lorsqu’il y a quelques semaines, le chef de cabinet, M. Sagasta, proposait à la reine de suspendre momentanément les Cortès, il obéissait à un double mobile. Il voulait, ce n’est pas douteux, laisser aux passions parlementaires qui venaient d’être singulièrement surexcitées par des discussions irritantes le temps de se calmer. Il se flattait aussi d’en finir avec une situation sans issue par une sorte de fiction ou de subterfuge, en ouvrant, à peu de jours d’intervalle, une session nouvelle où la majorité aurait l’occasion de se débarrasser d’un président dont elle ne voulait plus, et où le gouvernement lui-même pourrait reprendre avec plus de chances quelques-uns des projets qu’il tenait à faire voter. M. Sagasta le croyait ainsi, il n’a réussi qu’à moitié. Il a bien ouvert, en effet, cette session imaginée pour la circonstance, promise à une courte durée, et à la place de M. Martos, à qui on ne pardonnait pas de s’être séparé du gouvernement, le congrès a pu se donner un président de son choix en élisant un ancien ministre, M. Alonzo Martinez ; mais à peine les chambres se sont-elles trouvées de nouveau réunies, les interpellations, les explications, les agitations ont recommencé plus que jamais. Le président du conseil a rencontré devant lui une opposition formidable représentée par le chef des conservateurs, M. Canovas del Castillo, par un ancien ministre libéral, M. Gamazo, par le général Cassola, par l’ancien président lui-même, M. Martos, qui a accusé le gouvernement d’avoir organisé un complot et d’avoir abusé de la prérogative de la reine pour le déposséder de la présidence. Tous, libéraux dissidens et conservateurs, se sont réunis pour livrer au ministère un assaut d’éloquence à peine interrompu depuis quelques jours, entrecoupé de temps à autre de scènes violentes. Il n’est pas jusqu’au ministre des affaires étrangères, le marquis de la Vega y Armijo, qui, égaré dans ces débats, n’ait eu la mauvaise fortune de provoquer un incident des plus orageux.

En réalité, c’est le président du conseil qui est seul en cause, parce que seul il est le gouvernement. Il change ses collègues, il modifie son ministère ; il reste le chef invariable, objet de toutes les attaques. Il n’est pas toujours heureux dans ses défenses : il répond à tout par sa majorité, une majorité aussi passionnée qu’incohérente, qu’il a parfois de la peine à contenir et à manier. Il l’a gardée jusqu’ici pour sa défense personnelle. Il est douteux cependant qu’il puisse s’en servir pour faire passer ses projets, notamment le suffrage universel, et son unique ressource aujourd’hui est probablement de clore au plus vite cette session nouvelle, comme il a clos, il y a un mois, l’autre session, sans avoir rien fait. Ce sera une suspension, ce ne sera pas une solution, et l’Espagne a encore devant elle plus d’un jour de crise.


CH. DE MAZADE.