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vois plus le peuple ennemi, le peuple à la langue barbare : voilà Sion, la ville de nos fêtes ; voilà Jérusalem, ta demeure assurée, la tente qui ne sera plus démontée, dont on n’enlèvera plus les pieux ni les cordes… Jéhova notre juge, Jéhova notre capitaine, Jéhova notre prince, c’est lui qui nous sauve » (chap. xxx-xxxiii, passim). Enfin, au chapitre xxxv, ces idées s’épanouissent en images et en elïusions lyriques : » Le désert reverdit, il se couvre de fleurs et de joies. Il revêt la magnificence du Liban, l’éclat de Saron et du Carmel ; là réside la gloire de Jéhova, la majesté de notre dieu. Voici que les yeux des aveugles s’ouvrent et que les oreilles des sourds entendent. Le boiteux court comme le cerf, la langue du muet est déliée… Un chemin se fraie, une voie appelée la voie sainte ; aucun profane n’y passe, nul ne saurait s’y égarer. Les rachetés de Jéhova retournent à Sion pleins d’allégresse ; la joie éclate sur leur visage ; le bonheur est à eux ; la peine et la tristesse ont disparu. »

Avec ce chapitre finit le Premier Isaïe, car les quatre qui suivent ne font plus partie de la prophétie ; ce sont des pages du livre des Rois, où figure le vieux prophète, et qu’on a cru devoir reproduire à la suite du livre qu’on lui attribue (II Rois, de 18-13 à 20-19).

Je crois, pour ce livre, avoir rempli ma promesse. J’ai reconnu d’abord qu’il ne s’y trouve absolument rien qui se rapporte au viiie siècle. Si un récit, et c’est le seul (7-1), semble daté de cette époque au premier aboi’d, on s’aperçoit bien vite que ce n’est là qu’une apparence, que l’écrivain a dans la pensée des faits beaucoup plus modernes, et que, s’il y a mis cette date, c’est seulement pour suivre la fiction par laquelle il lui avait plu d’écrire, en forme de prophétie, sous le nom d’un prophète des temps passés. On remarquera surtout qu’il n’est pas dit un mot, dans tout le livre, de la grande catastrophe du viiie siècle, et dont tous les esprits alors devaient être pleins, je veux dire la destruction du royaume d’Israël par les Assyriens. L’écrivain ne paraît pas y avoir pensé un seul instant, non plus qu’à Salmanasar ni à Ninive. Ceux qui y ont cherché la fin du royaume de Juda, et la ruine de Jérusalem et du Temple, puis l’exil de Babylone ou le retour des exilés après la victoire de Cyrus, ont pu se faire plus facilement illusion, à cause du chapitre xii et d’autres endroits encore. Alors la prophétie n’est plus d’Isaïe, ni du viiie siècle, elle est du viie et même du vie. Mais cela encore ne peut satisfaire. Car nulle part il n’est dit, ni que Jérusalem et le Temple soient détruits, ni que le prophète et ceux à qui il parle aient été dispersés sur la terre de Babylone, pour y passer soixante-dix ans. Le Temple a été profané, mais il est debout ; Jérusalem subsiste toujours, et le